Pour certains globe-trotteurs, voyage ne rime pas forcément avec paysage. Des aveugles ont aussi droit à l'aventure grâce à des périples conçus autour des odeurs, des textures, des sons et des goûts. En Inde, où nous les avons rencontrés, ils font tourner bien des têtes.

Sa canne blanche trahit son handicap visuel et Anja Lehmann ne passe pas inaperçue dans le petit port indien de Vizhinjam, dans la région du Kerala. Bras dessus, bras dessous, elle marche avec Judy Foster, une voyante, qui lui décrit les marchandes de poisson vêtues de saris et les rafiots blancs aux motifs bleus, rouges, jaunes. La jeune aveugle allemande est accompagnée de son mari Dietmar et en est à son douzième circuit avec Traveleyes, une agence de voyages spécialisée pour les malvoyants. «Les voyants sont impressionnés que nous voyagions autant, parfois ils nous disent qu'on a visité des pays qu'ils ne verront jamais eux-mêmes!» L'expérience est tellement appréciée que 9 aveugles sur 10 mettent les voiles de nouveau.

Mais pourquoi voyager si l'on ne peut pas admirer les paysages? Amar Latif, fondateur de Traveleyes et lui-même aveugle, explique: «On utilise davantage les autres sens, par exemple l'ouïe à cause des cloches d'église ou le bruit des charrettes. Quand on descend de l'avion en Afrique, on ressent toute cette chaleur et ces odeurs. Quand on marche sur le Machu Picchu, on touche les montagnes. Et bien sûr le goût, car il faut goûter le vin, n'est-ce pas?»

Au programme du périple en Inde: cours de yoga, promenade dans les plantations d'épices, soirées musicales, balade à dos d'éléphant, croisière en bateau et, bien sûr, de bons repas. Rien ne semble être à l'épreuve de ces voyageurs, si bien que l'entreprise offre même des voyages de ski! «On installe une radio sur les voyants, les malvoyants n'ont alors qu'à suivre la musique de la personne avec laquelle ils sont jumelés», résume tout bonnement Amar.

Chaque jour, les malvoyants sont jumelés avec un voyant différent qui n'est pas bénévole, mais bien vacancier, et qui paie son voyage moitié prix. Devenir les yeux d'un aveugle le temps d'un périple, c'est le choix de vacances que Dany Behrman, technicien informatique dans la quarantaine, a fait pour la deuxième fois. «Les gens me demandent toujours si c'est difficile et la réponse est catégoriquement non. Tout le monde ici est égal, à un point tel que j'oublie souvent que je suis avec des malvoyants et je leur dis: "Ah, regarde le palmier là-bas!"», rigole Dany. Comme la majorité d'entre eux, il n'avait jamais guidé d'aveugles avant sa participation avec Traveleyes. Il dit remarquer plus de détails et mieux se souvenir du voyage. «Ça ouvre les yeux!», résume-t-il.

La bonne humeur règne dans le petit groupe d'un peu plus d'une vingtaine de personnes qui découvre le sud de l'Inde. Les liens se tissent rapidement entre les participants, et tous s'entendent pour dire que les groupes de Traveleyes sont les moins plaignards qu'ils ont connus. «J'ai été avec des tours organisés avant, et il y avait toujours quelqu'un qui poussait les hauts cris, mais ici, il n'y a rien de cela», se réjouit Helen Happer, qui en est à sa première expérience.

L'entreprise, dont le siège est en Angleterre, offre des départs à partir de plusieurs pays, incluant le Canada. Et c'est un aspect que Trevor Brearley, qui en est à son dixième voyage, aime beaucoup: «Il y a des gens de toutes nationalités et de tout âge. Même si la majorité est anglaise, j'ai voyagé avec des gens de l'Italie, de l'Allemagne, du Canada, du Brésil», énumère-t-il. Et pour Dietmar Lehmann, originaire d'Allemagne, ces voyages ont justement été l'occasion d'apprendre l'anglais. «Et je me rappelle exactement quel guide m'a appris quel mot!»

traveleyes-international.com