Entre The Shining de Stephen King et le film homonyme qu'en a tiré Stanley Kubrick, le récit tragique de la famille Torrance a marqué bien des esprits. De la chambre 217 aux jumelles Grady, les deux versions d'une même histoire s'entremêlent à l'hôtel Stanley, au Colorado.

«Si tu fais tomber le suçon, je te promets que je vais jouer à cache-cache avec toi... viens!» Plongées dans l'obscurité d'une grande salle de réception, une vingtaine de personnes sont assises par terre. Le regard fixé sur le bonbon déposé sur leur main, plusieurs sont dans l'attente du moment où quelque chose se présentera à eux. «Redrum», chuchote une femme à la blague.

En ce dimanche soir d'octobre, les fantômes de l'hôtel Stanley, que Stephen King a rebaptisé Overlook dans son roman, refusent obstinément de collaborer. «Nous allons essayer de faire des rencontres au quatrième étage», dit le guide Andrew Roberts, inébranlable tandis qu'il anime sa visite nocturne.

Pour les amateurs d'épouvante, l'hôtel Stanley est un établissement mythique, rempli de promesses. En s'y rendant, tandis que la voiture serpente sur la route nichée au coeur des montagnes, on se prend à imaginer ce qu'elle était en novembre 1974, quand l'auteur Stephen King a parcouru le même chemin.

«La Coccinelle, plus confiante maintenant que la pente se faisait moins raide, reprit sa montée et, pendant qu'elle grimpait, Danny, assis entre ses parents, n'arrêta pas de regarder par la fenêtre. De temps à autre, la route se dégageait, leur laissant apercevoir l'Overlook dont les fenêtres de la façade étincelaient au soleil.» (extrait du livre)

Du haut de la côte qui mène à la ville d'Estes Park, on comprend que sa femme et lui aient choisi l'hôtel Stanley pour s'arrêter en raison d'une météo peu favorable. Appuyé à une immense paroi rocheuse, l'hôtel au toit rouge n'échappe à aucun regard.

À l'époque, King a mis les pieds dans un lieu presque déserté de tous ses employés, prêt à fermer pour la saison hivernale. La nuit qu'il y passe le marquera. L'hôtel en mauvais état, les longs couloirs, le barman avec lequel il aura une conversation, le blizzard qui s'abat sur la région. L'imaginaire du romancier a fait le reste.

Lorsqu'il quitte l'hôtel le lendemain, il a en tête une bonne partie de son prochain roman. The Shining est publié trois ans plus tard. L'histoire de Jack Torrance, un écrivain alcoolique qui sombre lentement dans la folie jusqu'à s'en prendre à sa femme et à son fils, en est librement inspirée.

Payante épouvante



Quatre décennies plus tard, le hall de l'hôtel Stanley grouille de monde. Un mariage se prépare, des enfants mettent leur visage dans les trous d'un panneau sur lequel sont représentées les jumelles du film de Kubrick. On peine à se frayer un chemin vers le sous-sol de l'établissement, où trônent des objets et des images consacrés à l'oeuvre imaginée par le maître américain de l'horreur.

«On n'a pas inventé ça, Stephen King est bel et bien venu ici. Ce sont les journalistes qui insistent sur The Shining. Ils sont fascinés par cette histoire», se défend presque David Ciani, jeune directeur général de l'établissement. Il a beau vanter les salles de réception et le restaurant de l'hôtel, il admet du même souffle que le Stanley «adopte cette culture». Dans toutes les chambres, une chaîne de télé diffuse en boucle le film de Stanley Kubrick et des investissements de plusieurs millions de dollars sont envisagés pour aménager un musée de l'horreur et un studio de production sur le terrain du complexe hôtelier.

Les clients ne se font pas prier pour jouer le jeu de l'épouvante. Regan Gibson, enseignante d'anglais, a lu The Shining et le présente à ses élèves. Le livre de Stephen King est la raison principale de sa présence à l'hôtel.

«Je me suis levée hier en plein milieu de la nuit et j'avais peur, j'entendais des bruits au-dessus de nous. J'avais aussi le sentiment qu'on me regardait...»

À ses côtés, son mari n'en croit rien. «Ce sont de vieilles bâtisses, les choses craquent, c'est comme ça que je rationalise ça», dit Corwin Gibson.

Il est l'un des rares à faire preuve d'un tel scepticisme parmi la vingtaine de visiteurs qui espèrent de tout coeur voir des ombres ou entendre un bruit. «Prenez des photos, vous avez ainsi beaucoup plus de chances de voir des orbes apparaître, assure Andrew Roberts. Hier, on vu sur une photo l'ombre d'un homme fumer une pipe.»

Pour apprécier une visite à l'hôtel Stanley, il faut jouer le jeu, laisser les lieux nous envahir. Quand la plupart des clients sont couchés et qu'on marche seul dans les longs couloirs labyrinthiques de l'hôtel, l'endroit est inquiétant. Que se cache-t-il vraiment derrière toutes ces portes closes?

Il y a la chambre 217, devenue 237 dans le film de Stanley Kubrick. Elle serait hantée par l'esprit d'une femme de chambre qui, en 1917, a été victime d'une explosion en allant allumer une lanterne. Elizabeth Wilson a survécu, mais reviendrait de temps à autre ranger les vêtements des clients dans la garde-robe. C'est également la chambre où Stephen King a dormi.

C'est pourtant le quatrième et dernier étage de l'hôtel qui serait le plus en proie à des phénomènes étranges. Bien des invités entendraient des enfants jouer dans les couloirs la nuit. Les jumelles du film de Kubrick? Le passé réel de l'hôtel se mêle à la fiction.

«Non, l'Overlook ne lui faisait pas peur. Au contraire, l'hôtel lui était sympathique et il avait l'impression que la réciproque était vraie aussi.» (extrait du livre)

Le directeur du Stanley ne croit pas aux récits fantastiques relayés par ses hôtes et employés. «C'est du folklore, dit David Ciani. Je n'ai jamais vu un fantôme, je ne crois pas à ces histoires. Mais les gens qui en voient vont te dire que c'est parce que je n'y crois pas que je ne les vois pas...»

À l'hôtel Stanley, il faut croire pour voir.

À partir de 189$US la nuitée. Infos: stanleyhotel.com



PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

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L'escalier principal de l'hôtel a été redécoré pour la minisérie basée sur le livre de Stephen King. 

Dissocier King de Kubrick

Sans Stanley Kubrick pour porter l'histoire à l'écran, le livre de Stephen King ne serait peut-être pas resté aussi marqué dans les esprits. Dans l'imaginaire collectif, les deux s'imbriquent souvent. Éclaircissements.

L'auteur Stephen King a résidé à l'hôtel Stanley et c'est cet établissement qui lui a inspiré l'Overlook, l'hôtel du livre. Le cinéaste Stanley Kubrick, lui, jugeait que le décor de l'hôtel ne convenait pas au film qu'il souhaitait réaliser. C'est donc dans un studio près de Londres qu'on a recréé de toutes pièces un faux hôtel. Quant à la scène d'ouverture du film, où l'on voit l'établissement entouré de montagnes, elle a été tournée en Oregon, faute de neige suffisante au Colorado cette année-là.

Mais Stephen King n'a guère apprécié le film de Kubrick, qu'il jugeait «froid», voire «misogyne» en raison du personnage peu nuancé de Wendy. Il a donc entrepris de faire sa propre minisérie basée sur son livre, laquelle a été diffusée à ABC au printemps 1997. Celle-ci a été tournée à l'hôtel Stanley, mais Stephen King a dû se rendre à l'évidence: le décor original du Stanley était trop blanc. Tout l'intérieur de l'hôtel - à l'exception d'une pièce - a donc été redécoré. C'est dans cette ambiance que logent maintenant les invités.

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La bar intérieur popularisé par le film The Shining de Stanley Kubrick. 

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Les couloirs de l'hôtel Stanley ont inspiré certains des passages les plus angoissants du roman The Shining de Stephen King. 

L'hôtel Stanley est-il hanté?

«Beaucoup d'invités nous racontent leurs expériences avec les fantômes après une nuit passée ici. Parfois, il s'agit même de gens qui étaient sceptiques en arrivant à l'hôtel. Mais il y a aussi des clients qui repartent très déçus de n'avoir pas vu de fantômes», dit David Ciani, directeur général de l'hôtel. Entre ceux qui y croient et ceux qui n'en croient rien, deux visions s'affrontent.

«Oui»: les fiancés du Stanley

John Burkle est un fan de Stephen King et considère le film The Shining de Stanley Kubrick comme un film «presque parfait». Son amoureuse Katie Lawton partage ses goûts cinématographiques. Lorsqu'il a voulu la demander en mariage, c'est à l'hôtel Stanley qu'il a pensé. Il n'a pas fait les choses à moitié, puisqu'il avait réservé la chambre 217 un dimanche du début du mois d'octobre.

«Quand nous sommes entrés dans la chambre, c'était effrayant. Le plancher craque et le bain sur pattes est entouré d'un rideau. On a laissé le rideau ouvert, je ne voulais pas me lever la nuit pour aller à la toilette et voir le rideau fermé. La scène du bain est l'une des scènes les plus terrifiantes du film», nous a expliqué le résidant de l'Ohio par courriel.

«Nous nous sommes couchés tôt parce que nous avions un avion à prendre au petit matin le lendemain, mais ce n'était pas une nuit de repos. Je me suis réveillé quatre fois parce que je sentais une pression entre Katie et moi sur le matelas. Au début, je pensais que c'était ma conjointe, mais ce n'était pas elle. C'était comme si un enfant MARCHAIT sur le lit. Une fois, je me suis levé d'un coup, j'ai réveillé Katie qui était apeurée!»

«Non»: les sceptiques en chef du Colorado

Bryan Bonner et Matthew Baxter sont les deux hommes derrière la Rocky Mountain Paranormal Research Society. Malgré ce que laisse croire le nom de leur organisme, ils ne cherchent pas les phénomènes paranormaux. Ils tentent plutôt de les expliquer de manière rationnelle.

L'une de leurs enquêtes les a menés à l'hôtel Stanley. Une porte claque toute seule dans une chambre? C'est la faute des mouvements du vieil ascenseur à proximité. Un verre casse sans qu'on y touche? L'effet de l'eau très froide versée dans un verre chaud. Leur conclusion: l'émission de télévision Ghost Hunters a travaillé fort pour multiplier les fantômes du Stanley.

Les deux hommes affirment que le plus gros mensonge qui est raconté au Stanley, c'est de prétendre que l'hôtel est hanté. Ils déplorent également la réécriture de l'histoire du Stanley, importante pour la région, au profit des histoires de fantômes. «Ils disent par exemple qu'un homme du nom de Lord Dunraven hante l'hôtel, explique Matthew Baxter. Non seulement ce n'était pas son vrai nom, mais en plus, il n'y a jamais mis les pieds!»

Doit-on craindre quelque chose si on passe une nuit au Stanley? «Si vous laissez la fenêtre de votre chambre ouverte, un raton laveur pourrait y entrer. Son nom sera peut-être Casper!», dit Matthew Baxter à la blague.

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La chambre 217 dans laquelle la famille King a séjourné.