Le territoire de Brooklyn est immensément vaste. Pas moins de 251 km2 de superficie. C'est-à-dire plus de quatre fois l'étendue de l'île de Manhattan, qui s'étire sur 58,8 km2.

La péninsule, depuis les années 90, connaît une mutation fulgurante. Elle accueille aujourd'hui les adresses les plus branchées, à quelques stations de métro seulement de Manhattan.

Mais Brooklyn ne se limite pas à Williamsburg, forteresse des hipsters, où certains auront l'impression que l'ambiance est un peu «trop cool pour toi». Non, contradictoire et effervescent, le borough est divisé en nombreux quartiers aux énergies distinctes, dont la plupart ont été fondés lors de la colonisation néerlandaise au XVIIe siècle.

Moins branchés, plus résidentiels et plus «authentiques», peut-être, ils offrent une expérience de Brooklyn différente, par le détour. Voici cinq d'entre eux, regroupés autour d'une destination précise, d'un attrait, puisqu'il vaut mieux s'aventurer avec un but précis en tête sur ce territoire dont les distances se comptent en miles et sur lequel les taxis passent au compte-gouttes...

BROOKLYN HEIGHTS

Promenade sur l'East River

La promenade de Brooklyn Heights se déroule sur près de 2 km le long de l'autoroute Brooklyn-Queens. Elle a été construite en 1950 pour amortir le bruit de la voie rapide, dont on entend le ronronnement en sourdine (sans qu'il ne devienne jamais agressant). L'esplanade «dans les hauteurs» jonchée de bancs de parc offre une vue panoramique sur l'île de Manhattan et ses gratte-ciel. Un paysage de carte postale sur Lower Manhattan, South Street Seaport, le pont de Brooklyn.

Il s'agit aussi d'un poste d'observatoire privilégié sur la statue de la Liberté à l'embouchure de l'Hudson, ainsi que sur les bateaux qui s'agitent dans le port de New York. De là, on peut remonter jusque dans le village historique du même nom, cossu et bordé d'arbres, ancien lieu de résidence d'Arthur Miller, de Norman Mailer et de Truman Capote. La promenade se referme, en bord de rivière, sur un Brooklyn Bridge Park en pleine construction.

Info: nyharborparks.org/visit/brhe.html

Où manger?

Iris Café

On nous avait promis une «ambiance très Brooklyn» dans ce café situé au coeur de Brooklyn Heights. Un café très Brooklyn? Ce serait donc un café avec des murs de briques, une grande cuisine à aire ouverte, de vieilles affiches botaniques, un plafond de métal embossé et un accueil enthousiaste. Chez Iris, on sert de l'excellent café et des plats consistants à tendance slow food. Sur le menu, kale, avocat et grains entiers s'acoquinent avec pain de viande, pâté de foie et poulet braisé au cidre à la peau croustillante. Idéal à l'heure du lunch.

20, Columbia Place, iriscafenyc.com



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BOCOCA

Au pays d'Al Capone

Après SoHo et TriBeCa, voici BoCoCa, un acronyme qui renvoie au triangle formé par Boerum Hill, Cobble Hill et Carroll Gardens. Ces trois quartiers mitoyens situés dans l'ouest de Brooklyn ont été développés à la fin du XIXe siècle pour l'industrie maritime commerciale florissante de Brooklyn. Autrefois malfamées, ce sont maintenant de charmantes petites enclaves résidentielles, qui se sont embourgeoisée avec les années. Caroll Gardens, ex-quartier d'immigrants, a été notamment le repaire d'un Italien célèbre: Al Capone, qui s'est marié en 1918 à l'église St. Mary's Star of the Sea.

Le 335, Smith Street a abrité le siège de la Società Riposto, club social exclusif fréquenté par des Siciliens. Aujourd'hui, si ce n'est du «Non-Members Welcome» inscrit sur la porte d'une devanture discrète, on croirait encore que le Brooklyn Social est un bar réservé aux initiés. Et c'est ce qui en fait un endroit fascinant. Comme une photo d'époque. Matt Dawson est devenu propriétaire du local en 2004. Il a à peine touché à son papier peint fleuri, ses ampoules jaunies, ses fanions, son plafond mouluré rouge (rafraîchi), ses médailles et ses portraits fantomatiques, son éclairage à la chandelle.

Avec un Negroni, un Sicilian Fizz ou un Fellini, c'est le lieu parfait pour l'apéro, avant qu'une horde de locaux s'en empare. De là, Prospect Park et Red Hook sont à une distance raisonnable de marche (mais pas dans la même direction).

Info: 335, Smith St., brooklynsocialbar.com

Où manger?

Seersucker

Le seersucker est un coton gaufré, traditionnellement rayé bleu et blanc, porté par les gentlemen du sud des États-Unis. Gregory Peck dans le film To Kill a Mockingbird, vous voyez? C'est aussi le nom de cette cantine située à deux pas du Brooklyn Social qui, parce qu'elle a de la suite dans les idées, propose une cuisine digne d'un southern barbecue. Au menu, po' boy, poulet frit, biscuits au babeurre... La plupart des ingrédients proviennent du Carroll Gardens Greenmarket, qui s'installe juste en face tous les dimanches matins, à compter de 8h.

329, Smith St., seersuckerbrooklyn.com

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WILLIAMSBURG

L'hôtel au centre du monde

En ce moment, le Wythe Hotel est un peu l'épicentre de Brooklyn. De l'ancienne usine de tonneaux datée 1901, surélevée de trois étages supplémentaires grâce à un cube en aluminium et en verre, l'hôtel a préservé le cachet industriel: planchers de béton, briques, poutres en pin, colonnes d'acier. Dans les chambres, des baies vitrées de 13 pieds offrent une vue imprenable sur Manhattan. De l'extérieur, l'enseigne néon verticale de 50 pieds, fabriquée à partir de vieilles affiches publicitaires en étain, qui scande les lettres HOTEL a déjà quelque chose d'emblématique.

Au Reynard, restaurant du rez-de-chaussée, même les oeufs brouillés du matin goûtent le four à bois dans lequel on cuit les viandes de la tête à la queue. Au sixième étage, sur la terrasse du bar The Ides, on assiste, privilégié, au plus beau des couchers de soleil. Un séjour au Wythe est une expérience en soi, totale. En prime, le Wythe Hotel a de la classe, beaucoup de classe. Assez de classe pour que tous les clients soient traités avec le même professionnalisme, une conduite (trop) rare de ce côté-ci de Brooklyn...

Mais Williamsburg reste Williamsburg, c'est-à-dire le centre du monde hipster. Aussi est-il conseillé de ne pas oublier ses habits des grands jours. Surtout pour s'épargner deux ou trois complexes.

Info: 80, Wythe Ave., wythehotel.com

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BROOKLYN NAVY YARD

Les rois de la distillation

On assiste actuellement à une «renaissance» des distilleries à Brooklyn. Récemment, 11 producteurs de gin, whisky, rhum, vodka, bière et liqueur d'hibiscus se sont regroupés pour former la Brooklyn Spirit Trail, qui s'étend sur l'ensemble du territoire brooklynois, de Red Hook à Green Hook. À la tête de cette mouvance, King's County Distillery.

Plantée à l'entrée du chantier naval désaffecté de Brooklyn, à l'angle des rues Sands et Navy (un repère à retenir), dans une ancienne trésorerie de briques rouges, il s'agit de la première distillerie à obtenir une licence depuis la fin de la prohibition. C'est donc la plus vieille de New York, du haut de ses... trois ans. Là, deux anciens camarades de l'Université Yale, David Haskell et Colin Spoelman, distillent leur bourbon artisanal au moyen de grands alambics écossais en cuivre, parmi les cuves de fermentation qui bouillonnent comme les marmites d'une sorcière. Clin d'oeil au Kentucky natal de Spoelman, qui a grandi dans un comté sec, la liqueur emblématique de King's County Distillery est un moonshine (alcool «illégal») qui a la particularité d'être clair et non vieilli en barrique.

On peut aussi acheter sur place les flasques de bourbon whisky et de whisky aromatisé au chocolat, dans lequel ont macéré des écorces de fèves de cacao récupérées chez les frères Mast, chocolatiers de Williamsburg. La distillerie est ouverte tous les samedis après-midi, à partir de 14h30, pour des tours guidés informels suivis d'une dégustation. Nul besoin de réserver, mais il est bon de savoir qu'il faut s'enregistrer au gardien de sécurité posté à la guérite de l'entrée. À moins de vouloir ensuite remonter à pied vers DUMBO, on conseille de prévoir à l'avance vos déplacements: la station de métro la plus près est York, sur la ligne F.

Info: kingscountydistillery.com

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DUMBO

Le carrousel de Jane

New York et les années 20. Grande ère du jazz, des bars clandestins et... des carrousels américains. Construit en 1922 par la Philadephia Toboggan Company, c'est aujourd'hui sur le bord de l'East River, à l'ombre du pont de Brooklyn, que les chevaux mécaniques du carrousel de Jane galopent dans leur ronde infinie. Le manège doit son patronyme à Jane Walentas, femme du promoteur immobilier responsable de la renaissance de DUMBO, cet ancien no man's land industriel situé sous le viaduc du pont de Manhattan auquel le quartier doit son nom. Vingt-sept années ont été nécessaires à Walentas pour restaurer (à l'exacto) le vieux carrousel racheté aux enchères en 1984.

Vingt-sept années de patience pour faire reluire sa patine d'antan, ses couleurs d'origine fanées par des décennies de mauvaises conditions de conservation. Les 48 chevaux et leurs chariots ont été ensuite placés sous une cloche de verre par l'architecte français Jean Nouvel, qui les protège des intempéries et qui donne à l'ensemble des allures de lanterne magique la nuit tombée. Une façon d'y accéder à partir de Manhattan consiste à prendre l'East River Ferry qui se rend jusqu'à Long Island à partir du district financier (Wall St./ Pier 11) et de descendre au premier arrêt, appelé Brooklyn Bridge Park/DUMBO. Ces cinq minutes brinquebalantes, lorsque les eaux sont houleuses, sont l'une des plus sympathiques portes d'entrée sur Brooklyn. Et l'activité ne fera pas strictement la joie des enfants.

Info: janescarousel.com

Où manger?

> Vinegar Hill House

Vinegar Hill est un microquartier un peu excentré au nord de DUMBO, réparti sur quelques rues à peine. Des brownstones (les immeubles en grès, typiques de Brooklyn) et des rues pavées. Un petit je-ne-sais-quoi de désuet qui jure agréablement avec la zone désertée qui l'entoure. Le restaurant Vinegar Hill House est un emblème du quartier. À l'intérieur, beaucoup de bois, du vert menthe, un bar en cuivre, des cloisons serties de vitraux, des plantes, des rideaux dorés tirés à demi-fenêtre, un feu de foyer. Au menu, des plats en petites portions, savoureux: agnoletti ricotta, raisins de Corinthe et piments cerises, cuisse de lapin, carottes et radis, plateaux de fromages fermiers. On est conquis.

72, Hudson Ave., vinegarhillhouse.com

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Un bon guide, avec des plans de rues détaillés par quartiers, est un indispensable à se procurer avant de partir (les cartes de Brooklyn sont une denrée rare). Notre choix: Not For Tourists Guide to Brooklyn, éd. Skyhorse, 236 p., 14,95$.