Est-ce qu'on ressent de la culpabilité à aimer Dirty Dancing, à écouter Joe Dassin ou Dalida, ou encore à lire des romans Harlequin? A-t-on honte d'aimer certaines choses parce qu'on sait qu'on sera l'objet de moqueries? Et alors? On a le droit de se faire plaisir, non? Bienvenue dans le monde des plaisirs coupables.

Amours honteux

Tout d'abord, il faut définir ce qu'est un plaisir coupable. « C'est une expression qui dit le contraire de ce qu'elle est. Quand on a un plaisir coupable, c'est qu'on a un plaisir qui est sincère et qui devrait être vécu sans culpabilité. Un plaisir coupable est un sentiment qu'on ne devrait pas avoir, mais qui est plus fort que soi, comme si l'on ne devait pas apprécier une oeuvre que l'on juge indigne de son estime, mais on ne peut faire autrement que de ressentir un plaisir », explique Mélissa Thériault, professeure de philosophie à l'Université du Québec à Trois-Rivières.

Elle s'est penchée sur ce phénomène (elle a donné une conférence sur le sujet au congrès de l'ACFAS) parce que, dit-elle, il fait partie de la vie quotidienne et qu'à titre de philosophe, elle s'est toujours demandé pourquoi on peut aimer une série de télévision médiocre alors qu'on devrait apprécier autre chose.

« J'ai voulu comprendre les mécanismes de l'exclusion. Pour comprendre comment on évalue un objet d'art, il faut s'interroger sur les critères d'évaluation et ce qui se passe quand on tranche et qu'on dit que c'est bon ou que c'est mauvais. Est-ce qu'il y a des choses qui sont intrinsèquement mauvaises, et sur la base de quoi? Je n'ai pas de réponses à cela », explique-t-elle. Elle estime que beaucoup d'éléments entrent en jeu dans l'évaluation d'une oeuvre: la pression, le non-dit, le poids du conservatisme, les jeux institutionnels, ce qui fait consensus, tout cela peut influencer le jugement. « On se rend compte que ce n'est pas du tout la qualité de l'oeuvre qui est déterminante », précise la professeure, qui est aussi vice-présidente de la Société de philosophie du Québec.

On peut aussi poser la question du goût. Qui le définit? Qui en est responsable? Les experts? « C'est un jeu de pression entre les différents spécialistes, journalistes, observateurs, historiens de l'art et intellectuels. Il est aussi question des effets de mode, de l'air du temps et de l'ensemble de la société civile, qui trient entre ce qui est intéressant et ce qui l'est moins. »

En tant que simples spectateurs, devons-nous obéir à ces principes? Nous avons la liberté d'aimer ce que nous voulons, de bonne ou de mauvaise qualité, et de nous sentir coupables ou pas.

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Mélissa Thériault cite en exemple la musique country, qui est devenue une tendance alors qu'elle était encore perçue, il n'y a pas si longtemps, comme une musique qu'on devait écouter en cachette.

Elle explique qu'au XVIIIe siècle, pour la première fois, on a été confronté à la notion de subjectivité et de goût, et qu'on n'était plus soumis à une norme transcendante comme celle d'un principe religieux. « Pour la première fois, on fait confiance à une personne humaine pour émettre un point de vue. Le problème, c'est qu'on s'aperçoit que dans la sphère artistique, les goûts varient beaucoup. On essaie de comprendre pourquoi les gens qui devraient avoir une perception commune ne s'entendent pas du tout, contrairement aux phénomènes scientifiques de cette époque. »

Finalement, on ne peut pas se mentir à soi-même, car on n'a pas d'emprise sur ses plaisirs, qu'ils soient coupables ou non. Mais surtout, les phénomènes changent à une telle vitesse que ce qui était perçu comme un plaisir coupable devient très vite un plaisir tout court.

Ses plaisirs coupables? « J'aime les vitrines kitsch surchargées de la Plaza St-Hubert. Est-ce par déviance ou par subversion? C'est surprenant à quel point on peut aller loin dans le mauvais goût! La musique pop indienne de Bollywood, les succès yéyés québécois, les chansons de Brigitte Bardot - moralement, c'est une figure discutable aujourd'hui... Je plaide coupable! »

Ils se confient

Anne-Marie Dussault, journaliste et animatrice de 24/60 à RDI

« Les vidéos de chats et de chiens, je ne m'en lasse pas! J'ai un plaisir fou à les regarder, au risque d'en perdre ma crédibilité! J'en envoie à mes amis qui s'y intéressent et j'ai un réseau avec qui on s'en échange. C'est de l'émotion pure! C'est ma détente du jour, j'en regarde avant de me coucher et je ris très fort, au point où mon fiancé me dit: "pas encore une vidéo de chat et de chiens!" C'est un plaisir très coupable, c'est vrai, et ce n'est pas très original, car des millions de gens aiment ça. J'ai deux chiens que j'adore, et je pense que dans une autre vie, j'aurais été vétérinaire. 

« Les frites. J'ai une dépendance affective aux frites, je n'en mange pas souvent, mais mes camarades savent que s'ils en commandent au restaurant, je vais en prendre quelques-unes!

« La crème glacée aussi, c'est un péché pour moi! La petite cuillerée de bonne glace ou de bon sorbet, en milieu de soirée, qu'on va prendre dans le congélateur! C'est un petit plaisir coupable! »

Pierre Brassard, humoriste, animateur de Parasol et gobelets à ICI, Radio-Canada Première, samedi et dimanche, de 17 h à 19 h

« Mon plaisir coupable favori, c'est d'écouter Fernand Gignac et le Ballroom Orchestra dans le tapis. J'ai l'impression que c'est mon ami Pierre Verville, qui l'imite à la perfection, qui chante. J'adore ça! Ça me fait rire. Aller au DIX30. Aller au dépanneur en pantoufles. Aller chez un concessionnaire. Tout ce que je veux, c'est faire l'essai routier, mais je suis prêt à écouter l'interminable séance d'information du vendeur pour pouvoir essayer la voiture. Je regarde les essais routiers sur YouTube aussi. Aller dans les ventes-débarras, succomber et acheter tout ce qui est vintage, des vieux haut-parleurs et des 33 tours qui s'accumulent chez moi! Aller dans les magasins de vieux matériel électronique et ne rien acheter. Derrière les comptoirs, il y a des spécimens! C'est plein d'histoires. »

Herby Moreau, journaliste, animateur, producteur, www.herby.tv.

« Les chansons Question de feeling de Fabienne Thibault et Richard Cocciante, Voyage Voyage de Desireless et Résiste de France Gall. Celle que je ne me lasse pas de chanter en soirée karaoké, c'est Sous le sunlight des tropiques, de Gilbert Montagnier. Côté cinéma, Love Actually, avec Hugh Grant, je le regarde tous les Noëls et c'est devenu mon classique pour le temps des Fêtes. Quand je suis à l'hôtel, j'avoue que j'aime bien l'émission America's Next Top Model avec Tyra Banks, et j'aime bien avoir ma dose de l'émission TMZ pour voir des vedettes dans des conditions qui sont loin d'être les meilleures... Et pour des biscuits Oreo, j'arrête tout! »

Rafaële Germain, auteure

« La liste est longue! Les magazines à potins américains, ça me détend tellement de lire ça, je ne sais pas qui sont toutes ces vedettes, mais je regarde leurs robes! Les films catastrophes, ça me fait du bien de voir ça, il doit y avoir un côté cathartique! Le groupe rock américain The Monkees, les hot-dogs steamés, la série True Blood, c'est vraiment des auteurs laissés à eux-mêmes, mais c'est jubilatoire à regarder. La musique sentimentale italienne des années 70-80 (Umberto Tozzi, Ricchi et Poveri), j'adore ça même si tout le monde me juge! J'écoute ça en joggant et ça me fait du bien. La pâte à biscuits aux pépites de chocolats Pillsbury congelée, j'en coupe une tranche et je la mange comme ça, crue: un délice! »

Mireille Deyglun, comédienne

« Je prône une saine alimentation dans la vie, mais je craque littéralement pour la poutine! Ça me rend folle! C'est tellement cochon, mais c'est un plaisir coupable, car je sais qu'il n'y a rien de bon là-dedans! Il y a un côté de moi qui est assez excessif, j'ai beaucoup de garde-robes chez moi, car je suis une folle de magasinage. De manière très systématique, en solde, j'achète des chaussures, des bottes, des robes, des accessoires ou des sacs à main! Je suis timbrée et je garde tout. J'adore Céline Dion, mais dans un certain milieu et pour beaucoup d'amis, Céline Dion, c'est quétaine, mais moi, je l'aime! Je vais faire de la route, et je vais mettre ses chansons pendant des heures, je ne me lasse pas. »

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