Même si les hommes se disent plus satisfaits de leur reflet dans le miroir que les femmes, ils sont nombreux à vouloir la carrure d'enfer et les abdos découpés de ceux qui font la une des magazines masculins. Ce problème d'image corporelle s'exprime aussi à travers des troubles alimentaires longtemps associés aux femmes.

Les garçons aux prises avec des troubles alimentaires se préoccupent moins de leur poids ou de leur alimentation que de leur musculature. C'est l'un des constats faits par la psychologue et chercheuse Dominique Meilleur, de l'Université de Montréal, qui participait à la fin de la semaine à un colloque mis sur pied par ProfIL, centre de référence sur les troubles alimentaires et l'image corporelle au masculin. Ces garçons de 8 à 13 ans, dont elle a scruté les dossiers, ne sont pas seuls.

L'envie d'un corps plus musclé est fortement répandue parmi les adolescents et les jeunes hommes, qu'ils soient déjà minces, grassouillets ou de poids normal. Ce désir est partagé par 75% d'entre eux, selon la chercheuse américaine Jillian Croll. Ce chiffre correspond à celui avancé il y a quelque temps par une étude limitée au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Puisque près d'un garçon de poids normal sur trois désire prendre du muscle, selon l'Institut de la statistique du Québec, associer la masculinité au muscle semble encore relever du réflexe.

Et les adultes ne sont pas en reste... «Si on pense à ce que les hommes dépensent en suppléments sportifs, en abonnement au gym et en magazines pour hommes qui sont orientés vers l'exercice physique, tout ça est à la hausse, c'est clair. Tout ça est prouvé empiriquement, affirme Marc Lafrance, sociologue de l'Université Concordia intéressé par la condition masculine. Alors si on utilise cette mesure comme preuve, on peut en tirer la conclusion que les standards sont plus difficiles à atteindre et que c'est une préoccupation montante.»

P'tit gars et gros bras 

Ces modèles d'hommes musclés, ce sont bien sûr les athlètes, mannequins ou acteurs qui exhibent leurs abdos bien découpés en une de magazine comme Men's Health ou sur grand écran. Gilles Tremblay, sociologue de l'Université Laval, se rappelle aussi avoir assisté à une conférence où des chercheurs s'étaient amusés à mesurer les biceps des figurines G.I. Joe. Une fois transposés à l'échelle humaine, les résultats étaient spectaculaires: «Ça donnait 27,5 po de biceps, alors que ceux du footballeur américain qui a les plus gros mesuraient quelque chose comme 21 po!»

Gilles Tremblay signale en effet que le surentraînement est «de plus en plus fréquent» et estime que l'époque envoie le message aux hommes que la masculinité est une chose qui doit être prouvée.

Dès 2001, le psychiatre américain Harrison G. Pope, qui a lui aussi mesuré des jouets pour garçons, émettait l'hypothèse que le fait que les femmes aient rapidement investi de nombreux domaines - y compris ceux traditionnellement réservés aux hommes - faisait du corps une espèce de refuge du mâle. Muscler son corps reviendrait à réaffirmer sa masculinité.

Prudent, Marc Lafrance précise que les recherches de Pope (The Adonis Complex) n'ont pas été reproduites ni vérifiées. Néanmoins, l'idée selon laquelle le corps hyper musclé est une réaction au rôle changeant de la femme est aussi avancée par plusieurs sociologues et psychologues de nos jours, résume-t-il. Il s'agirait ainsi d'une reconsolidation extrême de la masculinité traditionnelle, en contrôle et dominante, dans un contexte où l'homme est de moins en moins dominant économiquement et sur le plan familial.

Derrière les muscles 

Il faut toutefois se garder de faire un lien direct entre le stéréotype du corps musclé et une mentalité traditionnelle, prévient Gilles Tremblay. Il n'y a pas qu'une seule façon d'être un homme et le culte du corps a peut-être autant à voir avec l'air du temps - égoportraits, réseaux sociaux, etc. - qu'avec le rôle sexuel. Puis, comme le dit aussi Marc Lafrance, la masculinité se transforme, elle est multiple. «Les jeunes hommes prennent plus de distance vis-à-vis du modèle traditionnel», observe Gilles Tremblay.

Les modèles de masculinité se transforment, les caractéristiques peuvent s'amalgamer.

Et si les habiletés sportives chez les garçons sont valorisées dans notre société, que l'entraînement gagne du terrain, que sculpter son corps semble une manière d'afficher un statut, qu'il faut prendre garde à un culte du corps qui virerait à l'obsession, l'image n'est pas que négative. «Se préoccuper de sa santé, de sa présentation, de son corps, ce n'est pas mauvais en soi», fait valoir Gilles Tremblay.

«C'est le dosage qui compte, nuance-t-il. Le danger, c'est de faire la promotion d'un modèle dominant auquel tout le monde doit adhérer. La question qu'il faut se poser c'est: Qu'est-ce qui te convient à toi? À ton corps? À ce que tu es comme individu? À ce que tu veux vivre? Il faut partir davantage de nos besoins et non pas de modèles idéalisés.»

Troubles alimentaires

Les hommes également touchés

Avant 2013, aucun homme ne pouvait souffrir d'anorexie. Pas selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), du moins, qui est l'ouvrage de référence en santé mentale. «Ce n'est que depuis 2013 que le critère d'aménorrhée [NDLR: absence de menstruations] a été retiré du diagnostic. Avant, il fallait absolument avoir ça pour qu'un diagnostic soit posé. Vous voyez comme on part de loin», souligne Nathalie Jobin, responsable de ProfIL. Or, les spécialistes estiment que 10% à 25% des personnes qui souffrent d'anorexie sont des garçons ou des hommes. Près de la moitié des cas d'hyperphagie - soit 40% - sont aussi des hommes. «On pense que ces chiffres sont sous-évalués», précise Mélanie Guénette-Robert, d'Anorexie et boulimie Québec (ANEB). 

Dominique Meilleur, psychologue et chercheuse à l'Université de Montréal qui vient de faire une étude sur les troubles alimentaires chez les garçons de 8 à 13 ans, estime qu'il y a encore beaucoup à faire pour comprendre la façon dont ces troubles se déclinent au masculin. «Les outils qui existent ont été construits à partir d'observations cliniques faites sur des femmes», dit-elle. Son travail récent lui a déjà permis de constater qu'il n'y a pas que des similarités entre les deux sexes sur ce plan.

EN CHIFFRES

Proportions moyenne d'un homme de six pieds

Hauteur: 1,83 m

Tour de poitrine:  1 m

Taille: 84 cm

Circonférence du cou: 40 cm

Si Ken était un homme 

Hauteur : 2,4 m

Tour de poitrine: 1,3 m

Taille: 1,1 m

Circonférence du cou: 60 cm

Si Batman* était humain 

Hauteur:  1,78 m

Tour de poitrine: 1,45 m

Taille: 77 cm

Biceps: 70 cm

* Figurine de 1998

Sources: Jillian Croll (Body Image and Adolescents, 2005), Harrison G. Pope Jr. et coll. (Evolving Ideal of Male Body Image as Seen Through Action Toys, 1998).