Nathalie* a contracté le VIH il y a exactement 25 ans. À l'époque, les médecins lui ont dit qu'il lui restait à peine 10 ans à vivre. Elle avait 20 ans. «C'était comme si la vie venait de s'arrêter. J'avais beaucoup de deuils à faire en même temps: jamais je n'aurais d'amoureux - qui voudrait de moi? -, jamais je n'aurais d'enfants.»

Aujourd'hui, Nathalie est en santé, elle a un conjoint depuis 24 ans. Le couple a une fille de 10 ans et un garçon de 8 ans débordants d'énergie. La petite famille habite en banlieue de Montréal, où Nathalie travaille comme professionnelle. «Les deux grossesses étaient fortement désirées. Ça faisait un moment que nous voulions des enfants, mais le risque de transmettre le virus était beaucoup trop élevé. Nous avions regardé du côté de l'adoption.»

Puis, l'avènement de la trithérapie (avec un risque de transmission mère-enfant presque nul) a rendu leur rêve d'enfants possible. Le couple, qui a des rapports sexuels protégés, a procédé par insémination pour éviter que le conjoint de Nathalie soit infecté. «Pouvoir avoir une famille comme tout le monde, c'est un gros bonus dans nos vies», confie-t-elle.

Outre ses parents et son conjoint, très peu de personnes savent que Nathalie est séropositive. «J'ai dû inventer des raisons pour lesquelles j'étais suivie au CHU Sainte-Justine. Comme il m'était impossible d'allaiter, on me questionnait beaucoup. Il faut être faite forte pour répondre: c'est mon choix.» À la naissance, son bébé a reçu une médication pendant six semaines. C'est la procédure normale. «J'avais toujours peur que mon bébé régurgite le médicament bleu devant une matante en panique! On limitait la visite.»

Un jour viendra où elle annoncera à ses enfants qu'elle a le VIH. Pas tout de suite. «Aujourd'hui, ils sont trop petits, y comprendraient-ils quelque chose à leur âge? Je suis une maman comme les autres. On leur dira éventuellement, question qu'ils évitent de reproduire nos erreurs et qu'ils n'aient pas l'impression qu'on les a gardés dans l'ignorance trop longtemps.» Elle appréhende leur réaction. «Comment vont-ils se sentir?»

Elle déplore que le VIH soit toujours méconnu. «On pense à tort que ça se transmet facilement, qu'on en meurt encore, alors que notre espérance de vie est semblable à celle de nos voisins. Parce qu'il y a une connotation sexuelle, c'est très mal vu. Quand on a le VIH, on ne s'en vante pas auprès des collègues et des connaissances. Il y a de moins en moins de sensibilisation et, malheureusement, je vois des préjugés et des inquiétudes, que je croyais disparus, refaire surface.»

Nathalie insiste. «Encore aujourd'hui, apprendre qu'on a le VIH peut être effrayant. Mais si on prend soin de soi et qu'on prend bien sa médication, on peut très bien vivre.» On n'attend plus la mort, au contraire. On peut même donner la vie.

Un cadeau du ciel

Native du Mali, Mariam est âgée de 39 ans. Elle est la fière maman de deux garçons. Son aîné, Justin, a 15 ans, son dernier, Élie, 1 an. Encore un poupon. «C'est un cadeau du ciel que je n'attendais pas à mon âge. Ç'a été une belle surprise. Il mange beaucoup, il est en parfaite santé», confie-t-elle, avec le sourire.

Il y a un peu plus de 10 ans, Mariam a appris qu'elle était séropositive. Elle venait de décrocher un boulot dans une boutique d'art à Montréal et souhaitait souscrire une assurance vie. Jamais elle n'aurait pensé que les tests médicaux d'usage bouleverseraient sa vie à ce point.

«Quand le médecin m'a annoncé que c'était le VIH, je me suis effondrée. Je ne comprenais pas. Je croyais que j'allais mourir du sida. Pour moi, c'était un verdict de mort à court terme. Je pleurais beaucoup», confie-t-elle.

Son fils le plus âgé, qui est né au Mali et qu'elle a allaité jusqu'à 5 ans, a malheureusement été infecté. Justin a reçu le diagnostic à 7 ans. Un peu après sa maman. «Ça m'a fait tellement mal. Je ne mangeais pas, je ne dormais pas.» Son coeur de maman était déchiré. Elle se sentait coupable et impuissante, même si on lui avait dit que son fils et elle pourraient mener une vie normale ou presque. Malgré leur secret.

Petit garçon curieux, Justin posait sans cesse des questions à ses parents sur sa condition. Ils n'ont pas tardé à lui annoncer la nouvelle. «Il a d'abord été effrayé, il a dit qu'il ne voulait pas mourir jeune.» Avec l'aide de la travailleuse sociale du CHU Sainte-Justine, ils lui ont expliqué ce qu'était le VIH. «On lui a dit qu'il avait la même maladie que moi et que, s'il prenait des médicaments, tout irait bien. Il m'a sauté dans les bras, j'étais soulagée», raconte sa mère, qui craignait le pire.

Depuis ce jour, Mariam et son fils suivent leur traitement sans faux pas, dit-elle, si bien que le virus est indétectable. Mariam a pu accoucher de son deuxième garçon (d'un second père) sans lui transmettre le virus. Durant la grossesse, on a suivi de près sa charge virale. On a modifié sa médication. Cette fois, elle a dû faire une croix sur l'allaitement. «Mon bébé ne connaît même pas le sein. On m'a dit à l'hôpital qu'il ne fallait pas, que cela ne serait pas prudent», dit-elle.

Si la médecine fait aujourd'hui des miracles, la maladie est encore lourde à porter. «Personne n'est au courant de mon statut dans mon entourage», dit-elle. Les pères de ses enfants, dont elle est séparée, ont passé des tests, ils n'ont pas été infectés. «Je me sens parfois isolée. J'ai grandi dans une famille de huit enfants, tous sont au Mali. Je n'ai pas de famille ici. Je suis toute seule avec mes enfants.» Elle trouve aide et réconfort à la Maison Plein Coeur.

Parce qu'il a été médicamenté in utero et après l'accouchement, son bébé sera suivi à long terme au CHU Sainte-Justine. «Dire qu'au Mali, on peut mourir d'une simple diarrhée...» Ici, ses garçons pourront vivre une belle vie en santé, peut-elle espérer, VIH ou pas.

*Les noms ont été changés pour préserver l'anonymat.