Les vins canadiens font encore l'objet de bien des préjugés. Pourtant, la péninsule du Niagara convainc à elle seule n'importe quel sceptique qu'il se fait de bien bons crus au pays. Il suffit de savoir choisir entre les 80 vignobles de la région.

François Morissset, vigneron libre

Il fait à peine 10 °C, et le vent et la pluie s'abattent sur la région du Niagara en cette dernière journée de mai. La veille, le soleil et la chaleur forçaient à chercher l'ombre. Il y a une semaine, il y a eu du gel au sol.

Assis dans la maison bicentenaire du domaine Pearl Morissette où il fait son vin, François Morissette s'étonne encore des sursauts de la météo, huit ans après s'être installé en Ontario.

« Il n'y a pas un an qui est pareil, c'est l'enfer. C'est vraiment l'enfer. Tu ne peux jamais dormir sur tes deux oreilles. Tu commences à dormir une fois que les feuilles sont tombées et que tous les raisins sont ramassés. »

Il est là, le travail du vigneron. Tirer les meilleurs éléments de l'endroit où il s'est enraciné après des années passées à apprendre le vin en Bourgogne.

Il le fait même si, d'entrée de jeu, le Niagara était « le dernier endroit au monde » où ce Québécois qui a grandi à Longueuil voulait s'installer. « Lorsqu'ils m'ont proposé de démarrer un projet sans compromis, où je serais maître à bord, ça avait un certain attrait », explique François Morissette, qui est ainsi devenu le précieux allié d'un homme d'affaires qui avait acheté des vignes.

« Je suis parti avec un BlackBerry, un pick-up et une vigne en mauvais état », illustre François Morissette. Avant de « sortir de la garde-robe » avec ses vins en 2012, il s'est écoulé quelques années au cours desquelles il a redressé sa vigne et fait des vins selon la méthode qu'il affectionne, soit celle d'intervenir le moins possible, pour avoir le moins d'impact possible.

Le vigneron cherche un mot pour définir ce qu'il fait, puis se ravise. « Je ne sais pas quelle étiquette donner ! En ce moment, "vin nature" est plus facilement applicable à moi que d'autres, parce que c'est ce qu'on fait : on met la plus faible dose de soufre possible, le plus tard possible. Par contre, je suis résistant, parce que je n'aime pas les étiquettes, ce sont souvent des fourre-tout. Chaque fois qu'une est caduque, une autre arrive. Il y a aussi beaucoup de mauvais vin nature qui s'est fait dans les 10 dernières années. Mais ça change, favorablement. »

Cette « philosophie » a son effet sur ce qui se retrouve en bouteille. « Ça donne des textures plus amples. Ça amène dans des niveaux de complexité, là où la vie est amenée à s'organiser par elle-même. » On sort d'une rencontre avec François Morissette un peu déstabilisé. Comme le vin, la conversation mène à des endroits inattendus.

ENTRE LA SCIENCE ET L'INSTINCT

Les chardonnays, rieslings, cabernets francs et pinots noirs embouteillés chez Pearl Morissette sont le fruit d'une dualité, explique le vigneron.

« Tout ce qu'on peut mesurer, on le mesure. Mais la science explique environ 30 % de ce qui se passe dans le vin. Les paramètres mesurables par l'oenologie ne sont pas ce qui va nous faire prendre nos décisions ; les décisions sont prises à la dégustation, à l'instinct, explique François Morissette. Mais l'instinct ne peut être là que parce qu'on a fait des gammes pendant des années et des années. C'est le même travail qu'un pianiste de concert : répète, répète, recommence, recommence. »

Comme un pianiste, le vigneron a sa propre interprétation des vignes, du climat. « Tout mon travail dans le vin est sur les textures, sur la rémanence, sur la place que ça occupe en bouche, sur ce qui amène à boire du vin plutôt que des bouteilles d'eau. Il faut que ça fasse saliver. Je les fais dans cet esprit-là », décrit-il.

Lorsqu'il est arrivé dans la péninsule du Niagara, François Morissette se demandait s'il parviendrait à faire les vins qu'il souhaitait. « Aujourd'hui, je pense qu'on peut faire au Niagara, tous les ans, des vins de niveau international sur certains cépages. » Sans faire de compromis.

OÙ BOIRE LES VINS DE PEARL MORISSETTE ?

Bien que le vignoble de Jordan Station ne soit pas ouvert au public pour des dégustations, il est possible d'aller sur place acheter du vin en téléphonant avant de s'y rendre.

Les vins de Pearl Morissette ne sont pas vendus à la SAQ. C'est l'agence Vinealis qui en assure l'importation au Québec, en cartons de six.

Plusieurs restaurants tiennent les vins de François Morissette. À Montréal, on les trouve notamment au Vin Papillon, à la Salle à manger, à l'Hôtel Herman et à l'Express, tandis qu'à Québec, ils sont offerts au Saint-Amour et Chez Boulay.

Consultez le site de Pearl Morissette

Ravine Vineyard, le vignoble du village

Paul Harber et Martin Werner discutaient depuis un long moment déjà quand la confession est sortie. « On a toujours eu une relation fondée sur l'alcool, a blagué Paul. J'achetais la bière de Martin quand il n'avait pas l'âge de le faire et maintenant c'est lui qui fait mon vin. »

Le lien entre les deux amis d'enfance, devenus respectivement propriétaire et vigneron de Ravine Vineyard, témoigne bien de tout l'esprit qui entoure ce vignoble du village de St. Davids, qui fait partie de la municipalité de Niagara-on-the-Lake.

Ravine, c'est d'abord l'histoire d'une ferme qu'on a transformée pour éviter qu'elle ne quitte le giron familial. « La fin justifie les moyens », dit le père de Paul, Blair Harber, pour expliquer qu'avec sa femme, il ait choisi de convertir la ferme où poussaient des fruits en vignoble. C'était son idée. « Malheureusement », ajoute-t-il à la blague.

Une bien belle idée, si l'on en croit le succès de l'endroit, devenu comme le souhaitaient les fondateurs un « vignoble de destination ». On s'y rend bien entendu pour le vin, mais aussi pour y manger.

C'est Paul, l'un des trois fils du couple, qui gère aujourd'hui les affaires du vignoble. Formé en restauration à New York et en Allemagne, il a voulu faire de Ravine un endroit où l'on mange et boit bien, sans que ce soit pour autant guindé. « Autour de nous, les vignobles proposaient des restaurants plus haut de gamme », souligne Paul Harber.

À ses côtés, le chef Ross Midgley opine. « Nous n'essayons pas d'imposer notre philosophie aux clients, on veut rester un endroit décontracté, où tout le monde se sent le bienvenu. Nous portons attention à la manière dont nous obtenons nos produits, sans faire de chichi avec ça. »

Ravine a pris le pari du local et du biologique. Bien des fruits et légumes poussent sur la ferme des Harber ou chez les voisins. Les charcuteries sont faites sur place et le pain est fait par le boulanger qui officie en cuisine.

« Les gens quittent le restaurant et se disent que c'était bon, sans nécessairement savoir pourquoi. Nous, on le sait : on porte attention à l'origine de nos produits. On apprend avec chaque saison », dit le chef Ross Midgley.

UN INSTANTANÉ EN BOUTEILLE

L'approche en cuisine vaut également pour la vinification. Bien que le vin de Ravine soit certifié biologique, les étiquettes qui couvrent les bouteilles ne le mentionnent pas. « C'est ce qu'il faut faire et c'est tout, explique le vigneron Martin Werner, qui a grandi à deux pas du vignoble. Nous sommes dans une ferme qui existe depuis 1867, on ne va pas détruire la terre avec des herbicides et des pesticides. »

Dans ce petit vignoble d'où il sort annuellement entre 8000 et 12 000 caisses de vin, on produit du chardonnay, mais aussi du sauvignon blanc, témoignage de l'apprentissage du vigneron en Nouvelle-Zélande. Peu importe ce qui est produit chaque année, c'est la péninsule du Niagara qui s'exprime, explique Martin Werner.

« On essaie de montrer ce que le terrain et St. Davids nous apportent », explique le vigneron, qui n'aime pas le mot « terroir », qu'il trouve galvaudé. Chaque année, les vins de Ravine sont comme un instantané de cette région du Niagara. « On prend une photo de St. Davids et on la met en bouteille », conclut Martin Werner.

OÙ BOIRE LES VINS DE RAVINE VINEYARD ?

Les vins de Ravine Vineyard sont à la carte de plusieurs restaurants ontariens, mais pour acheter des bouteilles à rapporter chez soi, il faut se rendre directement au vignoble, car elles ne sont pas offertes au Québec.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE FRÉCHETTE, LA PRESSE

Ravine Vineyard a pris le pari du local et du biologique. Bien des fruits et légumes poussent à la ferme des Harber ou chez les voisins. Les charcuteries sont faites sur place et le pain est fait par le boulanger qui officie en cuisine.

Six vignobles à découvrir

Stratus

Situé aux portes de Niagara-on-the-Lake, le vignoble Stratus est un endroit où il fait bon s'arrêter, ne serait-ce que pour boire un verre de vin sur l'agréable terrasse avec vue sur les vignes. Le petit vignoble, qui célèbre ses 10 ans cette année, produit de bons vins vendus dans un décor contemporain un peu trop appuyé. Quelques vins de Stratus se trouvent à la SAQ.2059, Niagara Stone Road, Niagara-on-the-Lake

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Boutique du vignoble Stratus.

Tawse

Au bar de chez Tawse, Austin Shynal nous a chaleureusement accueillis par une froide journée de pluie. Il s'est enthousiasmé devant un chardonnay 2011, avant de littéralement s'emporter pour le cabernet franc 2010, sa suggestion si vous n'avez qu'un seul vin de la maison à acquérir. Les vins sont bien faits, selon les principes de la biodynamie. À défaut d'aller sur place, notez que la SAQ vend certains vins de Tawse dans ses succursales.

3955, Cherry Avenue, Vineland

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Tawse

Southbrook

Avant même de goûter au vin, c'est l'architecture particulière de ce vignoble qui fait de l'effet. Construit comme un long mur par l'architecte Jack Diamond, celui-là même qui a dessiné la Maison symphonique à Montréal, le vignoble lumineux et accueillant se fond dans le paysage. Southbrook produit des vins en biodynamie, qui sont offerts en trois gammes conçues pour autant de budgets. Goûtez au chardonnay 2012 Whimsy !, offert en version « minerality » ou « richness ». Un arrêt incontournable.

81, Niagara Stone Road, Niagara-on-the-Lake

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Vignoble Southbrook.

Hidden Bench

On tombe rapidement sous le charme des vins de ce petit vignoble qui produit annuellement 10 000 caisses. Ici aussi, on sent dans le verre le souci du détail chez les vignerons qui travaillent dans une optique non interventionniste. Leur Terroir Caché, un assemblage de merlot, cabernet franc, cabernet sauvignon et malbec, est vendu à la SAQ.

4152, Locust Lane, Beamsville

Lailey

Ce serait dommage de faire la route jusque dans la péninsule du Niagara sans s'arrêter chez Lailey, où l'accueil et la beauté des lieux charment instantanément. Voilà un petit vignoble qui fait les choses simplement, de manière soignée. « On n'essaie pas de faire du Coca-Cola, on veut faire des vins uniques », dit le vigneron Derek Barnett, qui dit des vins du Niagara qu'ils sont de calibre mondial. « Ils brillent. » L'humilité l'empêche sans doute de décrire ainsi les siens, mais on peut l'affirmer à sa place. Goûtez au pinot noir, « léger et élégant », qui a fait une belle réputation à Derek Barnett, et repartez avec du sauvignon blanc pour les belles journées d'été. Une bonne nouvelle : le chardonnay 2013 de Lailey sera vendu dès l'automne à la SAQ.

15940, Niagara Parkway, Niagara-on-the-Lake

Coyote's Run

On ne va pas au Coyote's Run pour le charme du vignoble, où on reçoit les visiteurs dans ce qui ressemble à une maison de banlieue. Par contre, les vins proposés sont tout à fait honnêtes et plutôt abordables. Certains samedis d'été, le vignoble accueille des camions de cuisine de rue. L'horaire se trouve sur le site internet de Coyote's Run.

485, Concession 5 Road, Niagara-on-the-Lake

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Vignoble Coyote's Run.

Cool, le vin!

Lorsqu'en 2009, un chardonnay du vignoble Clos Jordanne, situé dans la péninsule du Niagara, a coiffé des vins français et californiens dans le cadre d'une compétition internationale, les vignerons de la région ont pris note. Le chardonnay figure au nombre des cépages les plus répandus dans le Niagara et il est souvent bien fait : il fallait lui donner une occasion de se faire boire.

L'International Cool Climate Chardonnay Celebration (I4C pour les intimes) est né de ce désir et réunit des vignerons qui travaillent dans des climats frais, dont la moitié viennent de l'Ontario.

« Il n'y a pas de définition claire de ce qu'est un climat frais. Mais il y a des critères, comme la latitude, l'altitude, l'influence côtière ou marine », explique Dorian Anderson, directrice de l'événement. Cela explique la présence d'un producteur sicilien, qui produit ses vins à flanc de montagne, et d'un autre de Californie, qui est installé sur la côte.

Le I4C invite le public à participer à des dégustations, des visites guidées, des repas, ou encore des conférences. La soirée préférée de la directrice reste toutefois celle du samedi soir, un souper gastronomique qui réunit cinq chefs. Qui comprendra des dégustations de vins, naturellement. Mais on trouve aussi dans la programmation du festival des dégustations plus modestes.

En tout, une vingtaine d'événements ont lieu et il reste des billets pour la plupart d'entre eux. 

Du 17 au 19 juillet, dans plusieurs vignobles de la région.