Il y a mille ans, du raisin emporté des rives de la mer Caspienne par des marchands parvenait au Japon pour être planté au pied du Mont Fuji. Des siècles plus tard, le «cépage de Koshu» fournit un vin blanc typiquement nippon.

Ce cépage a emprunté la route de la soie avant d'arriver dans l'archipel depuis la Chine, peut-être importé pour ses vertus médicinales d'après les historiens.

Mais après des centaines d'années d'adaptation au sol volcanique, il sert aujourd'hui à produire des vins «made in Japan», spécifiques à l'archipel, car cette variété ne pousse plus que sur le sol nippon.

«Le raisin de Koshu est bien adapté au climat. Sa peau est par exemple plus épaisse que celle d'autres cépages, pour mieux résister aux pluies abondantes ici», explique Naoki Watanabe, oenologue au domaine Tomi-no-oka.

Ce vignoble de la commune de Kai est situé au coeur de la préfecture de Yamanashi, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Tokyo sous le regard du Mont Fuji, une région où poussent 95 % des 480 hectares de vignes de Koshu.

Bien que cette zone montagneuse soit sujette à des précipitations importantes - notamment pendant la saison des pluies en juin -, elle bénéficie, hors averses, d'un ensoleillement généreux de 2250 heures par an en moyenne (un peu plus de 2000 heures dans la région de Bordeaux).

Son épanouissement tire aussi parti des hautes amplitudes thermiques propres aux terrains élevés, où la culture de la vigne de Koshu se fait majoritairement en tonnelles. Après une vendange assez tardive - courant octobre, voire début novembre -, le raisin est vinifié pour fournir un blanc fruité.

«En bouche, d'abord il est frais (...) avec un très bel équilibre entre l'acidité et le sucre naturel. En fin de bouche, il a une petite astringence qui fait sa particularité», analyse M. Watanabe, pour qui le vin de Koshu «s'associe bien aux plats japonais, comme le poisson cru ou grillé, ainsi qu'aux sauces comme celle de soja ou au miso».

Velléités exportatrices

Encore peu connu hors de l'archipel, le Koshu bénéficie depuis quelques années des efforts de la filière japonaise pour le populariser auprès des professionnels étrangers.

«C'est un cépage très intéressant autour duquel la région de Yamanashi va pouvoir communiquer», juge Benjamin Roffet, meilleur sommelier de France 2010, à l'occasion d'un voyage dans la région en marge du concours du meilleur sommelier du monde qui s'est tenu fin mars à Tokyo.

D'après cet expert «il est semi-aromatique, assez expressif au nez (...), les arômes sont très agréables et les acidités moyennes».

Au final, conclut-il, ce vin se marie très bien avec des mets un peu épicés, relevés, mais il peut aussi se suffire à lui-même. «Il est très agréable à l'apéritif, comme en France on pourrait boire un Muscat d'Alsace, c'est un peu la même gamme aromatique».

Malgré son histoire très ancienne, l'exploitation vinicole du cépage de Koshu n'a débuté qu'à l'ère Meiji (1868-1912), lorsque le Japon longtemps fermé au monde extérieur s'est ouvert aux influences étrangères.

«Les Japonais ont commencé à produire leur vin au moment où ceux d'Europe ont débarqué», raconte Ko Sakurai, PDG de Suntory Wine International, une des cinq principales entreprises viticoles du pays, sur environ 200, qui exploite notamment le domaine Tomi-no-oka.

Outre le Koshu, les Japonais utilisent une autre vigne autochtone, créée sur place il y a près d'un siècle, le Muscat Bailey A, à partir duquel ils produisent du vin rouge. Des cépages d'origine française sont aussi utilisés, comme le Chardonnay, le Merlot et le Sauvignon.

D'après M. Sakurai, le vin nippon a désormais atteint une qualité suffisante pour prétendre à l'exportation. Son entreprise «espère vendre du haut de gamme à l'étranger, surtout en Europe et peu à peu construire une image de prestige».

L'une de ses cuvées les plus remarquables, le Tomi Noble d'Or 2002 issu du Riesling, est un vin liquoreux délicat... vendu au bas mot 50 000 yens la bouteille (plus de 530 $).

Les domaines nippons fabriquent heureusement aussi des vins abordables, mais leurs velléités exportatrices sont entravées par une production modeste d'un peu plus de 800 000 hectolitres annuels, environ 60 fois moins que leurs aînés français.

Les vignerons nippons ne peuvent, il est vrai, compter sur une énorme consommation locale, dans un pays où la bière règne dans les tavernes aux côtés des traditionnels sakés (alcool de riz) et shochu (eau-de-vie de blé, riz ou patate douce): un Japonais adulte ne boit en moyenne que 2,5 litres de vin par an... contre plus de 50 pour un Français.