Stéphane «Brutus» Tessier est loin d'être une vedette. Sa fiche le rappelle brutalement: 3 victoires pour 30 défaites. Mais il s'est forgé au fil des ans la réputation d'un guerrier coriace, pugnace et courageux. Alors qu'il prend sa retraite, retour sur la carrière du plus célèbre faire-valoir de la boxe québécoise.

Le 20 avril 2012, Stéphane Tessier était chez lui sur la Rive-Sud de Montréal quand le téléphone a sonné. On lui offrait d'affronter Oscar Rivas, un boxeur poids lourd prometteur que le Groupe Yvon Michel a déniché en Colombie.

Tessier avait déjà rencontré cette terreur aux airs de Mike Tyson dans un ring trois ans plus tôt. Il a gardé de ce rendez-vous un nez tordu.

«Le combat est ce soir au Centre Bell», a dit la voix au bout du fil. L'adversaire de Rivas avait dû se désister. Il fallait trouver un boxeur courageux prêt à relever le défi in extremis. Au Québec, il n'y a pas deux boxeurs qui auraient accepté une mission aussi périlleuse. Il y a Stéphane Tessier. Il a accepté.

Ce soir-là, Tessier a été envoyé au tapis, mais s'est relevé. Les coups de Rivas l'ont coupé au visage et rapidement son torse s'est barbouillé de sang. Le vétéran est resté debout jusqu'à la fin du sixième et dernier round. Les juges ont accordé la victoire au jeune Colombien, qui a levé le bras de son rival en signe de respect.

Tempérament doux

L'anecdote illustre bien le caractère de Stéphane «Brutus» Tessier, un boxeur courageux, mais limité, qui a décidé, après huit ans de métier, de raccrocher les gants.

«Je suis content de ma carrière. La boxe m'a fait voyager en Allemagne, en France, en Roumanie, explique Tessier, dont le sourire et le tempérament doux ne cadrent pas avec son surnom. J'ai fait un peu d'argent. Les amateurs me connaissaient, criaient mon nom. Je ne regrette pas un instant.»

Tessier a commencé la boxe professionnelle à l'âge vénérable de 30 ans. Il n'avait alors que quatre combats amateurs sous la ceinture, un bien maigre palmarès. «Je me souviens qu'on me disait d'oublier ça, que je ne ferais que quatre ou cinq combats et que j'arrêterais la boxe.»

À son premier combat chez les pros, en 2005, son adversaire lui a fêlé une côte. Il a perdu. À son septième, il s'est fait disloquer la mâchoire. Il a perdu.

D'autres auraient tout abandonné. Mais Stéphane «Brutus» Tessier a mené une carrière de huit ans. Sa fiche: 3 victoires, 30 défaites et 2 nuls. Malgré ses revers, il est devenu au fil des ans une figure respectée du milieu.

«Stéphane, à chaque fois qu'on l'a appelé pour un combat, même à la dernière minute, il a accepté. Il ne gagnait pas - il a une fiche minable, il faut le dire -, mais il donnait un bon spectacle et il se rendait au bout du combat, lance Bernard Barré, vice-président du Groupe Yvon Michel. Il était coriace. Un combat contre lui représentait une bonne mesure pour nos boxeurs.»

L'amour de la boxe

Qu'est-ce qui a poussé Tessier à continuer malgré les blessures et les défaites? La boxe n'était pas une nécessité, puisqu'il occupe un emploi à temps plein.

«Si je n'avais eu que la boxe pour manger, je serais pas mal plus maigre», blague le gaillard de 5'10 (1,77 m) et 240 livres (108 kg).

Sa plus grosse bourse en carrière a été de 6000$. Sa plus petite de 1500$. Il estime avoir tout de même fait un peu plus de 100 000$ en carrière. «J'ai pu payer mon char, mettre de l'argent sur ma maison», dit-il.

Non, s'il a continué, c'est surtout pour l'amour de la boxe, pour les montées d'adrénaline avant de marcher au ring et pour entendre la foule crier son nom.

Un battant, pas un perdant

Aujourd'hui âgé de 38 ans, nouvellement marié, il a finalement décidé de mettre un terme à son invraisemblable carrière de boxeur. «On a cinq enfants à la maison, disons que je n'ai plus trop le temps pour la boxe», dit-il.

Tessier suit une formation d'officiel à la Régie des alcools, des courses et des jeux. Il rêve d'un jour devenir juge ou arbitre, de pouvoir garder un pied dans le sport qu'il aime.

Alors, quel bilan tire-t-il de sa carrière, de ses 3 victoires et 30 défaites? Se considère-t-il comme un perdant? «Est-ce que je suis un perdant? C'est pas une question facile, je ne sais pas trop comment répondre», commence le gaillard, l'air embêté.

Puis Tessier sourit. Il a trouvé le mot juste. «Non, je ne suis pas un perdant. Je suis un battant. Je n'ai jamais abandonné. J'ai affronté tout le monde. J'ai dépanné tout le monde. Je n'ai eu peur de personne. Je peux garder la tête haute.»