L'implantation de puces électroniques sur l'équipement des joueurs de la LNH, un projet dont La Presse a dévoilé la teneur en septembre dernier, est officiellement sur les rails depuis le match des Étoiles. Générateur de statistiques? Bébelle pour la télé? Outil pour les entraîneurs? Un peu toutes ces réponses. Dans les cercles de la LNH, personne ne semble s'opposer à la puce... mais plusieurs s'en méfient.

La technologie au service du sport

Quand Shea Weber a remporté le concours du lancer frappé le plus puissant au récent concours d'habiletés de la Ligue nationale, Hank Adams trépignait.

«Il a fait ça avec l'une de nos rondelles!» s'est exclamé le président et chef de direction de la société Sportsvision, avec qui la LNH développe un partenariat visant à intégrer des puces électroniques sur l'équipement des joueurs et sur les rondelles.

Calculer la puissance du tir de Weber était un jeu d'enfant. La télévision pouvait également dessiner la trajectoire du tir, mesurer la distance exacte que la rondelle a parcourue, etc.

Imaginez un match où une contre-attaque s'organise: une équipe s'échange la rondelle avec cinq ou six passes rapides et la télé est ensuite en mesure de cartographier cette démonstration de possession de rondelle.

Ce n'est qu'une des multiples déclinaisons qu'offrira la technologie par infrarouge de Sportsvision.

«Nous sommes au stade embryonnaire d'un work-in-progress», prévenait toutefois le commissaire Gary Bettman avant le concours d'habiletés des Étoiles.

Qu'est-ce qui sépare donc la LNH de l'implantation de la puce?

Ce n'est pas la puce elle-même.

«La technologie a fonctionné à la perfection, a indiqué M. Adams en faisant le bilan de ce premier essai.

«Peut-être qu'après la fin de semaine, M. Bettman aurait utilisé des termes différents. Il faut dire que les attentes étaient réalistes avant cet essai. On ne sait jamais ce qui peut arriver lorsqu'on utilise de nouveaux procédés.

«Mais la technologie en soi n'est pas embryonnaire.»

Prudence

Dans la cour des diffuseurs, on se montre prudent.

«Nous en sommes encore à un an sinon deux avant que ça ne devienne d'usage courant, estime Gord Cutler, vice-président à la production hockey au réseau Sportsnet. Nous arrivons au mois de février et nous l'avons testé pour la première fois à Columbus. De dire que ce sera testé, approuvé et opérationnel l'automne prochain, il faudra travailler fort pour en arriver là.»

Mais là où le bât blesse véritablement, c'est au point de vue politique. Le recours à cette technologie n'aura pas lieu tant et aussi longtemps que la LNH ne se sera pas entendue avec l'Association des joueurs.

«À mon avis, toutes les données disponibles devront être mises à la disposition de l'Association des joueurs, des agents et des joueurs dans leur forme brute, soutient l'agent Allan Walsh. Si la ligue croit qu'elle pourra récolter de l'information sans la partager ensuite, c'est voué à l'échec.

«Si l'information n'est pas partagée, je vais encourager tous mes clients à arracher la puce de leur uniforme et à la lancer par-dessus la baie vitrée.»

Quelles informations la ligue décidera-t-elle de suivre et de compiler? Autant les dirigeants d'équipe que les joueurs l'ignorent pour l'instant.

Des chiffres mis en contexte

L'idée générale, telle qu'exprimée à Columbus par le commissaire Bettman, est de générer des données quantitatives comme la vitesse des joueurs, les trajectoires qu'emprunte la rondelle, et la mesure de plusieurs prouesses.

C'est très séduisant, et on devine la LNH enthousiaste à l'idée de donner un coup de main aux diffuseurs pour améliorer la présentation de leur produit et la mise en marché des joueurs.

Mais au sein des opérations hockey, on doute que cela change de façon radicale la façon de travailler.

«Ça va prendre du temps avant de savoir où se trouve la valeur de ces données, indique Julien BriseBois, DG adjoint du Lightning de Tampa Bay. Peut-être que ce sera utile, mais peut-être que ça ne va rien apporter non plus.»

C'est surtout qu'on risque de faire fausse route en lisant ces statistiques en vase clos. Elles devront être mises en contexte.

«Si l'on décide de calculer la distance parcourue dans un match pour témoigner du travail d'un joueur, un gars comme Jamie Benn par exemple - qui est toujours au bon endroit et qui est tellement intelligent - risque de parcourir une distance moindre, une distance équivalente à celle d'un joueur paresseux.»

Au fil des ans, les équipes seront à même de voir si la vitesse moyenne d'un joueur a décliné d'une saison à l'autre. Un vétéran comme Sergei Gonchar, par exemple, n'a plus sa glisse d'autrefois. Et pourtant, on ne le voit plus se faire déborder constamment comme c'était le cas à sa dernière année à Pittsburgh ou encore à Ottawa. C'est qu'il a corrigé ses angles de patinage pour éviter de se faire prendre aussi souvent.

«Si la vitesse moyenne d'un vétéran baisse, il faudra voir si c'est parce qu'il est plus efficace ou si c'est parce qu'il est juste plus vieux, poursuit Julien BriseBois.

«Il faut regarder des matchs pour voir ça, car la puce ne te le dira pas.»

Des unités de mesure plus justes

On mesure encore mal l'étendue des possibilités qu'offrira la puce électronique une fois implantée dans les matchs de hockey. Mais à tout le moins, elle permettra de biffer les irrégularités de nombreuses statistiques «en temps réel».

«Les statistiques en temps réel sont récoltées à la main présentement, rappelle l'attaquant Manny Malhotra. Ce serait bien d'avoir des unités de mesure plus justes car elles varient d'un aréna à l'autre et les critères ne semblent pas être les mêmes.»

Les officiels mineurs de la LNH n'ont pas encore été prévenus que leur avenir était susceptible d'être affecté par cette technologie.

Mais rien ne sert de mettre la charrue avant les boeufs: avant que tout ce système soit mis en place, un long jeu de coulisses entre la LNH et l'Association des joueurs devra d'abord avoir lieu.

«Il faut considérer toutes les ramifications avant d'aller de l'avant, prévient l'agent Allan Walsh. Il ne suffit pas de dire que la technologie est développée et que les données sont précises pour planter tout de suite des puces sur le chandail de tout le monde.»

Non aux fréquences cardiaques

Y a-t-il une crainte d'une «Big Brotherisation» du hockey à force que tout soit enregistré de la sorte?

«Je suis sûr qu'éventuellement on va porter des moniteurs cardiaques», soupçonne Mike Weaver, représentant des joueurs du Canadien.

Or, ce qui semble clair, c'est que la ligue entend pour le moment se limiter à une puce qui récoltera de l'information relative aux performances, et non s'aventurer du côté d'informations médicales. De toute façon, il s'agit de deux technologies différentes. La puce de Sportvision, rattachée à l'équipement, serait incapable de mesurer les fréquences cardiaques.

Si la ligue a envie d'aller jouer de ce côté - et avoir une bonne bataille avec l'Association des joueurs sur les questions de vie privée - d'autres entreprises comme l'australienne Catapult pourraient bien l'alimenter.

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Photo Gene J. Puskar, AP

Shea Weber s'exécute à l'épreuve du tir le plus puissant lors du concours d'habiletés du dernier match des Étoiles. 

Quatre utilisations de la puce

1. Mettre en valeur les qualités des joueurs

«Le potentiel est énorme pour permettre aux fans de comprendre à quel point il s'agit d'athlètes remarquables, estime Hank Adams, président et chef de direction de Sportsvision. Je suis toujours en admiration devant le fait qu'un joueur puisse tirer une rondelle à 100 mi/h et qu'un autre la fasse dévier du bon angle pour déjouer le gardien tout en étant bousculé par un adversaire. La technologie nous permettra de mieux illustrer ces actions.»

L'attaquant du Canadien Max Pacioretty se dit entièrement favorable à ce genre d'initiative.

«Je trouve ça cool, dit-il. Ce serait le fun de voir d'avoir des statistiques par rapport au coup de patin, au lancer ou encore au temps dont dispose un joueur pour effectuer son tir. Ce serait plaisant pour les amateurs de pouvoir mieux juger du niveau de difficulté du jeu en quantifiant le peu de temps et d'espace qu'on a à notre disposition.»

2. Un argument de négociation

La LNH procèdera au cours des prochains jours à une refonte en profondeur de son site web pour y ajouter les fameuses «statistiques avancées» qui ont été développées à l'externe. Elle n'attendra donc pas l'implantation de la puce électronique pour le faire, et basera ses statistiques sur les données compilées pour l'instant en temps réel.

Mais une fois la puce implantée, les statistiques avancées seront encore plus fiables, car les données de base seront précises et constantes.

Le journaliste Elliotte Friedman soutenait à Sportsnet, en fin de semaine dernière, que les statistiques avancées seraient admissibles dans les causes en arbitrage. Une fois générées par la LNH et une fois uniformisées par un même système de récolte des données, nul doute qu'elles seront plus facilement recevables devant l'arbitre.

«On peut présenter de nouvelles statistiques en arbitrage, mais elles doivent être mentionnées au préalable et partagées avec l'Association des joueurs», précise Julien BriseBois.

3. Un outil pour les entraîneurs

La puce numérisera toutes les actions sur la glace, ce qui permettra aux équipes de dessiner aisément des patrons de jeu ou de démontrer des tendances.

«De telles informations ne pourront qu'augmenter l'imputabilité des joueurs», estime l'entraîneur-chef des Blue Jackets de Columbus, Todd Richards, qui rappelle que les joueurs ne peuvent plus se cacher sur la patinoire comme c'était le cas autrefois.

«Ce serait inutile de rejeter d'un revers de main ce qui peut nous apporter de l'analyse supplémentaire. On est toujours à la recherche de nouveaux outils visuels pour notre équipe. On peut maintenant isoler les présences de chaque joueur et leur remettre pour qu'ils les consultent sur un iPad à la maison. Il y a 20 ans, les joueurs auraient ri si on avait évoqué de telles possibilités. Et ils n'auraient pas vu en quoi ça pourrait les aider...»

4. Une application numérique pour les amateurs

La LNH veut attirer les gens vers ses matchs à la télé, mais aussi entretenir l'intérêt avec des «deuxièmes écrans». Entre en jeu son application pour tablette, qui sera assurément bonifiée par l'entrée en scène de la technologie Sportsvision. Un prototype de ce que pourrait avoir l'air la nouvelle application une fois propulsée par les puces électroniques a circulé à l'occasion du match des Étoiles.

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Un joujou pour les diffuseurs

La LNH n'a pas encore informé précisément les équipes de ses intentions à l'égard de l'information qui sera récoltée par la puce électronique. Mais Julien BriseBois, l'adjoint de Steve Yzerman chez le Lightning de Tampa Bay, soupçonne qu'elle servira d'abord et avant tout les télédiffuseurs.

«Ce serait fait pour générer des cotes d'écoute en fournissant de nouvelles données qui rendraient les matchs plus intéressants, et non pour aider les équipes, soutient BriseBois. La ligue ne veut pas augmenter les dépenses des équipes. Or, si chaque formation paie un montant X pour cette technologie, il n'y aura pas d'avantage compétitif à dépenser pour une information à laquelle tout le monde va avoir accès.

«Donc ce serait plutôt payé par les télédiffuseurs (en partenariat avec la ligue ou non) et ce serait probablement mis à la disposition des clubs.»

Évidemment, la ligue cherche à augmenter l'auditoire télé pour ses matchs et attirer de nouveaux amateurs.

«Le consensus dans le milieu de la télévision, c'est que l'écart entre l'expérience d'assister à un match de hockey en direct et le regarder à la télé est significatif, explique Hank Adams, de Sportsvision. Ce n'est pas un sport qui se traduit aussi bien à la télé que le baseball ou le football. Or, je crois que cette technologie pourra servir à rétrécir cet écart. C'est tellement un jeu de rapidité et de fluidité que parfois, dans le feu de l'action et tous les changements d'effectifs, la télé manque parfois des choses significatives.»

À Columbus, tout le monde y est allé de ses recommandations pour rendre l'utilisation de la puce encore plus pertinente.

«Des diffuseurs ont entre autres noté que ce serait bien de mesurer les confrontations entre un défenseur et un attaquant, d'être capable de savoir quand Brent Seabrook se retrouve sur la glace en même temps que Rick Nash, explique Hank Adams. Les entraîneurs jouent constamment aux échecs pendant les matchs et ce serait assez simple de pouvoir mettre cela en relief.»

Aussi emballé est-on chez Sportsnet, on reconnaît qu'il reste du travail à faire pour que l'information émise par les puces électroniques soit réacheminée à l'écran.

«Nous essayons de déterminer ce qui convient mieux au direct et ce qui convient mieux aux reprises, explique Gord Cutler, vice-président à la production hockey. C'est facile de mettre tout un tas de choses à l'écran. L'idée, c'est de créer une expérience que les gens vont apprécier. C'est la raison pour laquelle on veut l'intégrer avec parcimonie plutôt que de se dire "on a un nouveau jouet, placardons les ondes avec".»

Photo PC

La puce électronique pourrait donner un coup de main aux diffuseurs pour améliorer la présentation de leur produit et la mise en marché des joueurs.