Augmenter la proportion des femmes qui subissent une mammographie tous les deux ans fait grimper le nombre de diagnostics de cancer du sein, mais ne diminue pas la mortalité, selon une nouvelle étude américaine. Les chercheurs proposent que cette technique de dépistage cible les femmes génétiquement prédisposées au cancer.

«Il est très difficile de prouver qu'une technique de dépistage augmente surtout les diagnostics de cancers qui ne sont pas mortels», explique l'un des auteurs de l'étude parue dans la revue JAMA Internal Medicine, Charles Harding, un statisticien de Seattle qui a travaillé avec des oncologues, des radiologistes et des épidémiologistes de l'Université Harvard. «Nous avons imaginé une nouvelle approche pour étudier la question. J'ai fait partie de groupes chargés de faire des recommandations sur la mammographie et je suis de plus en plus convaincu qu'elle ne devrait pas être appliquée à toute la population. Il faut identifier les marqueurs génétiques qui rendent certaines femmes plus susceptibles d'avoir des cancers du sein mortels et cibler cette population.»

Les chercheurs ont analysé les dossiers de 16 millions de femmes de plus de 40 ans vivant dans 547 comtés américains. Dans chacun de ces comtés, la proportion de femmes ayant une mammographie aux deux ans variait de 40% à 80%. Pour chaque augmentation de 10% de la proportion de femmes de plus de 40 ans ayant une mammographie bisannuelle, la proportion de diagnostics de cancer du sein augmentait de 25% pour ce qui est des petits cancers, et de 7% pour ce qui est des gros cancers, à un stade plus avancé. La mortalité, elle ne changeait pas.

«Cette étude renforce les doutes quant à la mammographie et confirme qu'il y a du surdiagnostic», explique Benoît Mesurolle, un radiologiste de l'Université McGill à qui La Presse a demandé de commenter l'étude. «Je ne pense pas qu'on puisse régler le problème du dépistage avec cette étude, ceci dit. Il faut augmenter la qualité du dépistage, notamment l'information qu'on donne au patient.»

Le Dr Mesurolle souligne que depuis quelques années, le dépliant gouvernemental sur la mammographie mentionne le risque de surdiagnostic, c'est-à-dire un diagnostic menant à un traitement pour un cancer du sein qui ne se serait pas révélé mortel. Il ajoute que l'objectif du programme québécois de mammographie était de réduire la mortalité de 30%, alors que les résultats montrent plutôt une réduction de 18%, selon lui.

Au Québec, le programme de dépistage du cancer du sein recommande une mammographie bisannuelle entre 50 et 69 ans, que suivent 60% des femmes selon le Dr Mesurolle (l'objectif est 70% des femmes). Aux États-Unis, il existe deux recommandations concurrentes: la Société américaine du cancer recommande une mammographie chaque année à partir de 40 ans, alors que le US Preventative Services Task Force, qui regroupe neuf associations médicales et l'association des compagnies d'assurances médicales, propose la même chose qu'au Québec.

La mammographie entraîne aussi beaucoup de faux positifs, quand une anomalie se révèle avec des examens subséquents ne pas être un cancer du sein. «On voit des taux de faux positifs de 5-10% avec la mammographie, dit le Dr Mesurolle. Ça a des conséquences psychologiques pour les patientes. Il y a des études montrant que 30% d'entre elles développent des syndromes dépressifs. Il faut tenir compte de ces effets délétères quand on en parle aux patientes.»

En 2007, le Réseau québécois d'action pour la santé des femmes avait d'ailleurs dénoncé le manque de soutien psychologique dans les cliniques privées de radiologie.

Faut-il donc cesser de faire une mammographie aux deux ans? Ni le Dr Harding ni le Dr Mesurolle ne le recommandent. «Il faut qu'à l'avenir il y ait un dépistage ciblé, précise le Dr Mesurolle. Il faut voir quels sont les cancers générateurs de maladies généralisées avec un diagnostic génétique ou moléculaire et un traitement à la carte ensuite. Mais on n'y est pas. Pour le moment, il faut prendre en charge les patientes de façon à limiter le stress.»