Réutiliser nos vieilles bouteilles de vin pour construire des routes moins crevassées? L'idée n'est pas nouvelle, et elle a été relancée hier par la Société des alcools du Québec (SAQ) et l'École de technologie supérieure (ETS). Solution permettant de faire d'une pierre deux coups ou tentative d'éviter la consigne? Personne ne s'entend sur ce nouveau projet de recherche qui s'attaque à deux sujets qui font des flammèches au Québec: l'état des routes et le recyclage du verre. Explications en quatre points.

Le verre de la discorde

Chaque année, les Québécois génèrent 192 000 tonnes de verre provenant de bouteilles de vin et autres pots de confiture. Ce qu'on devrait en faire divise les intervenants. Pour l'instant, le gros de ce verre se retrouve dans le bac de recyclage, où il se mélange à d'autres matières. Une partie de ce verre contaminé se retrouve au dépotoir. Au printemps, le ministre de l'Environnement du Québec, David Heurtel, a dit vouloir introduire la consigne des bouteilles de la SAQ. L'industrie alimentaire, soutenue par l'organisme Éco Entreprises Québec, s'y oppose. Récemment, le Centre de recherche de l'environnement, de l'agroalimentaire, des transports et de l'énergie de l'Université Laval a conclu que la consigne n'était pas nécessairement avantageuse. Bref, le débat fait rage.

Du verre sur les routes?

L'idée d'incorporer le verre dans la construction de routes fait l'objet de recherches depuis les années 70. Mais hier, des chercheurs de l'ETS l'ont remise officiellement sur la place publique. « Nos capacités d'étudier les matériaux ont beaucoup changé », a expliqué Michel Vaillancourt, professeur au département de génie de la construction à l'ETS, pour expliquer le regain d'intérêt. M. Vaillancourt dirigera les recherches, qui s'étaleront sur trois ans et seront soutenues à hauteur de 620 000 $ par la SAQ, Éco Entreprises Québec, la Ville de Montréal et Mitacs, un organisme qui favorise la collaboration entre les universités et l'industrie. Si tout va bien, le groupe espère pouvoir intégrer à terme 100 000 tonnes de verre dans les routes du Québec chaque année.

Des propriétés prometteuses

Les chercheurs de l'ETS croient que le verre pourrait être avantageux tant sur le dessus des routes... qu'en dessous. Sur le dessus, les enrobés bitumineux, que nous appelons « asphalte », sont faits de pierres concassées liées par du bitume. En remplaçant une partie de la roche par du verre concassé, les scientifiques croient pouvoir réduire la quantité de bitume utilisé, ce qui ferait diminuer à la fois les coûts des enrobés et la pollution liée à leur fabrication.

Autres avantages : le verre conduit moins la chaleur que le roc et se draine mieux. Cela laisse croire que s'il était utilisé sous la chaussée, il combattrait deux des principaux ennemis de nos routes, le gel et les accumulations d'eau. « Il s'agit d'hypothèses que nous allons vérifier », précise le professeur Vaillancourt. « L'objectif, avec les partenaires, est clair. On ne fait pas ça pour camoufler du verre, mais pour avoir de meilleures routes », ajoute-t-il.

Des critiques

Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, fait partie des partisans de la consigne des bouteilles de verre. Et il voit l'annonce d'hier comme une stratégie pour l'éviter. « À mon avis, il s'agit d'une opération de relations publiques qui vise à dire : la consigne n'est pas nécessaire, on a trouvé des débouchés au verre », dit-il. Selon lui, l'erreur fondamentale est d'envoyer le verre dans le bac de recyclage, où il se mélange à d'autres matières et perd de sa valeur. Et intégrer le verre aux routes est une fausse piste à ses yeux. « Ce n'est pas du recyclage au sens de la loi, plaide-t-il. Le verre, une fois incorporé dans le bitume, n'est plus recyclable. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Des échantillons de bitume.