La Russie a accusé mercredi la Turquie de « provocation planifiée » au lendemain de l'écrasement d'un avion de guerre russe, abattu près de la frontière syrienne par l'armée turque, tout en écartant, comme Ankara, une escalade militaire dans la région.

« Nous avons de sérieux doutes sur le fait qu'il s'agisse d'un acte spontané, cela ressemble beaucoup à une provocation planifiée », a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, lors d'une conférence de presse.

Pour autant, la Russie « ne fera pas la guerre à la Turquie, (ses) relations avec le peuple turc n'ont pas changé », a affirmé M. Lavrov.

À Ankara, le président turc Recep Tayyip Erdogan s'est aussi efforcé d'apaiser les tensions, assurant n'avoir « absolument aucune intention de provoquer une escalade après cette affaire ».

Sur la même ligne, le premier ministre Ahmet Davutoglu a souligné devant les députés de son Parti de la justice et du développement (AKP) qu'Ankara était « ami et voisin » de la Russie.

Lors d'un entretien avec M. Erdogan, le président français François Hollande a lui aussi appelé à la « désescalade », tout comme les États-Unis et l'OTAN, dont fait partie la Turquie.

Mardi, un chasseur-bombardier Su-24 russe a été abattu par deux chasseurs turcs F-16. Ankara affirme qu'il se trouvait dans l'espace aérien turc, tandis que Moscou assure à l'inverse qu'il a été abattu dans le ciel syrien.

Côté russe comme turc, les médias publiaient des « preuves » censées étayer les versions de leur gouvernement. Un homme présenté comme le pilote par des chaînes de télévision russes a déclaré qu'il n'avait reçu « aucune sommation » de la part de l'armée turque. Le quotidien turc Sabah, proche du régime, a publié pour sa part un enregistrement audio où une voix à l'accent turc appelle en anglais un avion à « changer de direction vers le sud immédiatement ».

Cet incident, le plus grave survenu entre la Russie et la Turquie depuis le début de l'intervention militaire russe en Syrie il y a deux mois, a coûté la vie à deux militaires russes, l'un des deux pilotes et un militaire participant à une opération de récupération/sauvetage qui a été tué après que l'hélicoptère de son commando ait été lui aussi abattu.

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À des fins d'apaisement, M. Lavrov et son homologue turc Mevlut Cavusoglu « se sont mis d'accord pour se rencontrer dans les jours qui viennent », selon le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères Tanju Bilgiç.

Au cours d'un long entretien téléphonique, le ministre turc a « tenté de justifier les décisions de l'armée de l'air » de son pays en affirmant que l'avion russe « a volé au total 17 secondes dans l'espace aérien turc », a révélé M. Lavrov.

Mais « cette attaque est totalement inacceptable », a-t-il martelé, ajoutant que Moscou allait « sérieusement réévaluer » les relations entre les deux pays.

Moscou et Ankara s'opposent de longue date au sujet de la crise syrienne. La Turquie a fait du départ du président Bachar al-Assad la condition sine qua non de tout règlement politique au conflit, qui a causé la mort de 250.000 personnes en quatre ans et demi. À l'inverse, la Russie soutient contre vents et marées, avec l'Iran, le président syrien.

Le président turc a de nouveau dénoncé mercredi l'intervention menée par Moscou depuis le 30 septembre en Syrie, affirmant que la Russie ne visait pas les positions de l'organisation État islamique (EI).

L'incident risque en outre de faire dérailler les efforts pilotés par la France pour raccrocher Moscou à la coalition antidjihadiste après les attentats de Paris.

À ce sujet, M. Lavrov a d'ailleurs annoncé que la Russie soutenait la proposition du président français François Hollande de fermer la frontière turco-syrienne afin d'« arrêter le flux de combattants » jihadistes

Jets de pierre à l'ambassade de Turquie à Moscou

Lors d'un entretien téléphonique, M. Erdogan et son homologue américain Barack Obama ont souligné « l'importance de désamorcer les tensions et de faire en sorte d'éviter de nouveaux incidents similaires », selon la présidence turque.

Mais selon la presse turque, qui cite des sources militaires, l'armée de l'air turque a renforcé ses patrouilles à la frontière syrienne depuis l'incident d'hier : 18 F-16 sont désormais affectés à cette tâche.

Dans la rue, cette crise s'est illustrée avec une manifestation devant l'ambassade de Turquie à Moscou, rassemblant des centaines de personnes, qui ont jeté des pierres et brisé des vitres, a constaté un photographe de l'AFP. Selon la radio Echos de Moscou, une dizaine de manifestants ont été interpellés.

Et les dirigeants russes ne cachent pas leur colère.

Le président russe Vladimir Poutine, après avoir dénoncé mardi un « coup de poignard dans le dos de la part des complices des terroristes », a appelé ses concitoyens à boycotter les plages turques face au « danger terroriste » dans le pays.

Son premier ministre Dmitri Medvedev a reproché à Ankara ses « actions absurdes et criminelles ». Il a encore accusé la Turquie de « protéger les militants du groupe État islamique » et souligné « l'intérêt financier direct de certains responsables turcs » dans la vente du pétrole brut produit dans des zones contrôlées par les djihadistes.

Les médias russes, indignés par l'attitude d'Ankara, ont toutefois appelé les pouvoirs publics à la prudence face à l'escalade militaire et les risques pour l'économie.

PHOTO KIRILL KUDRYAVTSEV, AFP

Une des vitres brisées par les manifestants de l'ambassade de Turquie à Moscou, mercredi.