En parlant de son fils, auteur de la tuerie en Oregon, Ian Mercer a soulevé samedi une question parfaitement rationnelle: «Comment a-t-il été capable d'accumuler un tel arsenal?»

Chris Harper-Mercer, qui n'avait pas vu son père depuis 2013, disposait de 14 armes à feu. Quatorze. Six d'entre elles ont été récupérées sur le campus de l'université d'Umpqua, avec un gilet pare-balles et des munitions, et huit dans l'appartement que le jeune homme de 26 ans partageait avec sa mère. Selon la police, ces armes avaient toutes été achetées légalement.

La réponse à la question d'Ian Mercer n'a rien de rationnel. Pour le démontrer, il n'est pas inutile de parler un peu du shérif du comté de Douglas, où s'est produite la fusillade de jeudi dernier.

Cheveux en brosse, visage sévère, John Hanlin a notamment retenu l'attention la semaine dernière en refusant de nommer l'auteur de la tuerie. Il ne voulait pas le glorifier, ce dont personne ne lui fera reproche.

Mais le shérif est l'incarnation même de l'opposition la plus virulente à toute nouvelle loi restreignant l'accès aux armes à feu aux États-Unis. Des lois qui auraient pu empêcher que la tuerie en Oregon ait lieu, selon le père du tireur.

John Hanlin est ce que les Américains appellent un «gun nut». Le terme s'applique aux gens qui défendent le droit de porter des armes en employant des arguments absolutistes ou paranoïaques. Le shérif de l'Oregon, par exemple, a publié sur sa page Facebook en janvier 2013 une vidéo faisant écho à la théorie de conspiration suivante: le massacre de l'école Sandy Hook, qui a fait 26 morts, dont 20 enfants, le 14 décembre 2012, aurait été orchestré par le gouvernement fédéral pour justifier le «désarmement du public» par le truchement d'une nouvelle législation sur le contrôle des armes à feu.

La vidéo laissait aussi entendre que les parents des enfants «prétendument» abattus étaient des acteurs. Et John Hanlin de commenter: «On est en droit de se demander à qui l'on peut encore faire confiance.»

Trois jours après avoir publié la vidéo parano, le shérif du comté de Douglas a envoyé une lettre enflammée à Joe Biden, à qui Barack Obama avait confié le mandat de préparer un projet de loi pour prévenir la violence faite avec des armes à feu dans la foulée de la tuerie de Sandy Hook.

«Le contrôle des armes à feu n'est PAS la réponse pour prévenir les crimes haineux comme les fusillades dans les écoles», a écrit le shérif Hanlin en avertissant le vice-président de ne «PAS toucher ou amender» le deuxième amendement de la Constitution américaine.

L'attitude de la NRA

Dans sa paranoïa et son absolutisme, le shérif Hanlin reproduit l'attitude de la National Rifle Association (NRA), qui est devenue celle des républicains du Congrès, opposés à toute nouvelle loi pour contrôler les armes à feu.

Or cette attitude découle en grande partie d'une interprétation hautement contestée du deuxième amendement. Interprétation que l'ancien président de la Cour suprême américaine Warren Burger avait décrite en 1991 comme «l'une des plus grandes fraudes perpétrées contre le public américain par des groupes d'intérêt spéciaux».

Nommé par Richard Nixon, Warren Burger était un conservateur, tout comme Robert Bork, à qui le Sénat avait refusé en 1987 un siège à la Cour suprême en raison de ses opinions trop marquées à droite. Pour autant, le juge Bork affirmait encore en 1989 que la raison d'être du deuxième amendement était de «garantir le droit des États de former des milices, et non pas celui des individus de porter des armes».

Mais la NRA a fini par imposer son interprétation non seulement aux élus du Parti républicain, mais également à la Cour suprême. Par cinq voix contre quatre, la plus haute instance américaine a confirmé en 2005 le droit de chaque citoyen américain de disposer d'une arme pour son usage personnel. Elle invalidait ainsi une loi de la Ville de Washington interdisant à ses habitants de posséder une arme de poing.

«Sans aucun doute, certains pensent que le deuxième amendement est démodé, [mais] il est indiscutable qu'il ne revient pas à cette Cour de prononcer son décès», écrivait l'auteur de l'opinion majoritaire, Antonin Scalia, en dissociant le droit de porter des armes du contexte militaire qui le justifiait à l'époque des Pères fondateurs.

Depuis, chaque projet de loi fédéral pour restreindre l'accès aux armes à feu, y compris les armes semi-automatiques et leurs chargeurs à haute capacité, est dénoncé comme une atteinte à un droit «constitutionnel» par le shérif Hanlin et ses semblables.

Et ceux-ci d'épiloguer sur les troubles mentaux des tueurs de masse.