Le gouvernement américain utilise depuis des années des drones pour frapper de présumés terroristes dans divers pays de la planète et ne montre, malgré les critiques, aucune intention de modifier ses pratiques. Un tribunal allemand pourrait cependant le forcer à le faire.

La famille d'un imam yéménite qui a été tué en 2012 tente, avec l'aide d'organisations non gouvernementales occidentales, d'obtenir le démantèlement d'un centre de transmission crucial situé sur une base militaire des États-Unis, à Ramstein, en Allemagne.

«C'est une procédure novatrice et inusitée par laquelle nous demandons au gouvernement allemand de protéger la vie de civils innocents», a expliqué mardi Kat Craig, la responsable juridique de Reprieve, ONG anglaise luttant contre le programme de drones.

La logique de la procédure repose sur des documents classifiés «top secret» qui ont été récemment divulgués par l'hebdomadaire Der Spiegel et par The Intercept, le site lancé par le journaliste Glenn Greenwald.

Les documents en question indiquent que la base de Ramstein figure au coeur du système de télécommunications qui permet à l'armée américaine de contrôler en temps réel les drones utilisés pour les frappes.

Les commandes données par les militaires à partir d'une base située dans le Nevada, aux États-Unis, sont transmises par fibre optique en Allemagne et relayées ensuite par satellite aux drones dans leur zone d'opération respective.

Selon Mme Craig, la base de Ramstein se trouve à une position géographique stratégique qui permet de relayer les signaux de commande et de recevoir les images vidéo provenant des drones à une vitesse optimale. Sans la base, le délai de traitement serait trop long et rendrait les drones inopérables, dit-elle.

La responsabilité de l'Allemagne

Cette configuration, souligne la représentante de Reprieve, signifie que les commandes ayant mené aux frappes qui ont coûté la vie à l'imam yéménite Salim Ahmed bin Ali Jaber ont transité par Ramstein et engagent donc la responsabilité du gouvernement allemand.

Un tribunal de Cologne doit entendre ce matin le témoignage de la famille de l'imam en vue de décider si la cause peut être tranchée sur le fond.

Les documents présentés à l'appui de la cause indiquent que le religieux était un critique connu d'Al-Qaïda et de sa branche yéménite. Le jour de sa mort, il devait rencontrer trois membres allégués de l'organisation terroriste qui voulaient discuter de son point de vue.

Craignant d'être violenté, l'imam avait demandé à être accompagné par un cousin policier lors de la rencontre, tenue près de son village, dans l'Hadramaout, à l'est du pays.

Selon le compte rendu présenté en cour, quatre missiles ont été tirés lors de la rencontre, tuant les participants. La scène résultante, souligne-t-on, était «terrifiante» parce que la plupart des corps ont été déchiquetés.

Le gouvernement américain n'a jamais énoncé explicitement l'objectif des frappes ou présenté d'excuses formelles à la famille de l'imam et du policier.

Il est probable, selon Mme Craig, que les deux hommes ont été touchés accidentellement et que la cible première de l'opération était les trois sympathisants d'Al-Qaïda.

Washington dit agir légalement

Le gouvernement américain dit agir en toute légalité lorsqu'il procède à des frappes contre de présumés terroristes, mais nombre de spécialistes de droit international critiquent son analyse, tout particulièrement lorsque des civils sont touchés.

Reprieve espère que le tribunal va forcer la main du gouvernement allemand et le contraindre à faire cesser les opérations du centre de retransmission utilisé par l'armée américaine de manière «à protéger la vie», comme le prévoit la constitution du pays.

Le gouvernement n'a montré jusqu'à maintenant aucun empressement à agir en ce sens, allant jusqu'à nier toute connaissance approfondie du rôle de la base de Ramstein dans le programme de drones.

«Ils préfèrent se mettre la tête dans le sable [...] Ils semblent vouloir se contenter du fait que les Américains leur ont dit qu'ils ne faisaient rien d'illégal», relève Mme Craig.

La procédure, qu'elle aboutisse ou non, donne pour une rare fois l'occasion à des victimes civiles des drones de faire entendre leur voix devant un tribunal.

Mme Craig espère qu'elle permettra de faire avancer le débat sur le programme américain et la supervision qu'il requiert.

«Ce n'est pas parce qu'on a mis au point une nouvelle technologie que l'on peut commencer à tuer les gens où l'on veut sur la planète [...] Ce serait bien que les États-Unis contribuent à établir un cadre légal pour les drones avant que la Russie, la Chine ou la Corée du Nord ne commencent à faire comme eux», conclut la militante.