Rien ne va plus à la prison américaine de Guantánamo, à Cuba. Le président Barack Obama n'arrive pas à la fermer, malgré sa promesse de le faire. Au moins une centaine des 166 détenus ont entamé une grève de la faim. Vingt-trois d'entre eux sont désormais nourris par voies nasales et quatre sont hospitalisés. Alors que le mouvement de contestation des prisonniers entame sa 12e semaine, Obama déclare qu'il redoublera d'efforts pour fermer cette prison, où l'État de droit est inexistant. Mais y parviendra-t-il?

Même si le président américain Barack Obama a promis hier de redoubler d'efforts pour fermer la controversée prison militaire de Guantánamo, les chances qu'il parvienne à réaliser son objectif sont très minces. Dans le climat actuel suivant les attentats au marathon de Boston, une majorité d'Américains et de membres du Congrès sont opposés à la fermeture de la prison ou au rapatriement des 166 détenus aux États-Unis, explique un expert consulté par La Presse.

Selon Julien Tourreille, directeur adjoint de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), le président n'est pas en mesure de convaincre les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, de la nécessité de fermer Guantánamo.

«Si Barack Obama n'a pas convaincu le Congrès d'augmenter les mesures de contrôle sur l'acquisition des armes à feu, il y a peu de chances qu'il parvienne à le convaincre de fermer Guantánamo», explique M. Tourreille.

«La Chambre des représentants est majoritairement républicaine, avec en son sein ceux qui sont le plus farouchement opposés aux politiques d'Obama. Ça ne crée pas un bon climat de dialogue. Au Sénat, les démocrates sont peut-être en majorité, mais ils n'ont pas le chiffre magique de 60 sénateurs pour mettre fin aux débats et passer au vote sur les propositions de loi. Ils sont obligés de composer avec les républicains, même les plus radicaux», croit l'expert en politique américaine de l'UQAM.

Fermer la prison de Guantánamo, qui a reçu son premier détenu en janvier 2002 sous la présidence de George W. Bush, est une mission incertaine. À ce jour, 166 personnes sont toujours détenues, dont un peu plus de 100 se livrent à une grève de la faim.

«Je ne veux pas que ces personnes meurent. Le Pentagone essaie de gérer la situation du mieux qu'il peut, mais je pense que nous devrions tous réfléchir à pourquoi nous faisons cela», a déclaré le président Obama, hier.

Toutefois, selon Julien Tourreille, de l'UQAM, l'administration américaine présentement en poste est en partie l'artisan de ses propres difficultés.

«Obama se met lui-même des bâtons dans les roues. Le département de la Défense pourrait transférer des détenus dans des pays tiers. Or, les règles administratives sont trop restrictives pour le faire», explique M. Tourreille.

Le Congrès a adopté des amendements au budget de la Défense. Il est maintenant interdit au Pentagone de libérer un quelconque prisonnier de Guantánamo qui représente un danger d'attaque potentielle contre le territoire américain, ou de ses intérêts.

«Personne ne veut se retrouver, aux États-Unis, à être accusé d'avoir permis la libération d'un prisonnier qui, dans un futur hypothétique, commettrait un attentat. Il y a donc un blocage bureaucratique plutôt que politique. C'est à ce niveau que Barack Obama pourrait agir, rapidement», croit Julien Tourreille.

La fermeture de la prison de Guantánamo était une promesse électorale de Barack Obama en 2008. Depuis, le président n'a jamais été en mesure de réaliser son objectif.

«Il y avait à l'époque une dimension ambitieuse et irréaliste, croit M. Tourreille, expert en politique américaine. Obama voulait tourner une page assez sombre de l'histoire de son pays. Peut-être n'avait-il pas validé tous les aspects juridiques et pratico-pratiques de cette promesse. Il est loin d'être certain qu'il y arrivera, finalement.»

En janvier dernier, Obama était forcé de promulguer une loi qui renouvelait l'interdiction de financer le transfert de prisonniers de Guantánamo vers les États-Unis, où ils pourraient être cités à procès. Si les détenus comparaissaient devant des tribunaux américains, il est loin d'être acquis que les éléments de preuves récoltés contre eux seraient recevables devant la cour. Certaines preuves ont notamment été obtenues sous la torture, explique M. Tourreille.

«Pour lui, l'espoir serait que les démocrates reprennent, lors des élections de novembre 2014, la majorité à la Chambre des représentants tout en conservant une majorité au Sénat. Selon l'état actuel des forces, c'est peu envisageable.»

La prison de Guantánamo a mauvaise presse. Le président américain Barack Obama le sait, et c'est pourquoi il veut la fermer à tout prix. «Ce n'est pas tenable», a-t-il lancé hier. Retour en 10 points sur cette zone de non-droit située à Cuba.

Guantánamo en 10 chiffres

779

Depuis l'arrivée du premier détenu à Guántanamo, le 11 janvier 2002, 779 prisonniers de guerre y sont passés. L'administration de l'ancien président républicain George W. Bush en a libéré plus de 500.

126

Des 242 détenus à Guantanamo au début de la présidence de Barack Obama, 126 ont été libérés. Seulement un prisonnier a été transféré aux États-Unis, pour un procès. Présentement, 166 personnes y sont incarcérées.

46

L'administration Obama les considère comme des ennemis des États-Unis. Quarante-six prisonniers de la prison de Guántanamo sont détenus pour une période indéterminée, sans qu'on ait déposé de preuves contre eux.

800 000

Chaque prisonnier coûte près de 1 million de dollars aux États-Unis pour le garder à Guántanamo.

9

Se sont-ils suicidés ou sont-ils morts d'autres causes toujours inconnues? Plusieurs questions demeurent. Chose certaine, neuf détenus sont morts à Guántanamo depuis l'ouverture de la prison.

Le dernier prisonnier transporté à Guántanamo l'a été le 14 mars 2008. Depuis, aucun nouvel arrivant. Le 29 septembre dernier est la dernière journée où un prisonnier a été libéré de la prison.

578

Selon le centre sur le droit et la sécurité de l'Université de New York, les cours fédérales américaines ont inculpé 578 personnes inspirées par les principes du djihadisme depuis le 11 septembre 2001. Pendant ce temps, à Guántanamo, il y a eu sept procès devant une cour militaire.

8

Il aura fallu près de huit ans, entre leur capture et leur sentence, pour que le processus judiciaire des sept personnes qui ont connu un procès militaire à Guántanamo se termine. Le temps d'attente dans les prisons fédérales américaines pour les accusés de terrorisme est d'environ un an et demi.

15

Le nombre d'enfants qui ont été détenus à la prison de Guántanamo depuis son ouverture.

86

Des 166 détenus toujours à Guantanamo, 86 ont reçu l'approbation des autorités américaines pour retourner dans leur pays. Toutefois, ils demeurent toujours incarcérés pour l'instant.

SOURCES: Human Rights Watch, Human Rights First

- Avec AFP