À cinq jours d'un référendum controversé sur un projet de constitution, des dizaines de milliers d'Égyptiens ont voté avec leurs pieds, hier. Au Caire, ils ont fait entendre leur opinion à coups de trompettes et de slogans. Et le tout s'est déroulé sans effusion de sang, rapportaient nos envoyés spéciaux en Égypte, au moment de mettre sous presse.

L'immense barrière de béton, de grilles et de barbelés érigée par l'armée autour du palais présidentiel égyptien pour calmer les ardeurs des protestataires n'a pas eu raison, hier, de la détermination de dizaines de milliers d'entre eux.

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Ils étaient tous venus signifier leur mécontentement relativement à la décision du président Mohamed Morsi d'aller de l'avant dès samedi avec un référendum sur un projet de constitution post-révolution, malgré les récriminations répétées de l'opposition. «Dégage, Morsi!», entonnaient les groupes de manifestants, qui convergeaient des quatre coins de la ville.

Certains sont arrivés armés de bâtons, de barres de fer et de massues, ce qui laissait présager un retour de la violence qui a fait plus de sept morts, la semaine dernière, devant le même palais présidentiel. Mais après être venus à bout du périmètre de sécurité, les protestataires ont plutôt choisi de manifester dans la bonne humeur sous les fenêtres du président islamiste, en poste depuis juin.

Une Constitution au masculin?

Asmaa Abd al Salem, jeune femme longiligne de 23 ans, avait en poche, comme seule arme de protestation, un poème politique. «Chrétiens, musulmans, nous sommes réunis. Ce gouvernement est un bourreau. Nous devons le mettre à la porte. À bas la Constitution. À bas le comité qui l'a écrite», a lu en arabe l'étudiante voilée.

Autour d'elle, une dizaine d'autres filles, qui portaient toutes le hijab, acquiesçaient à ses propos. «Nous avons l'impression que ce président se croit tout permis depuis qu'il a été élu avec tout juste 51% des voix», a tonné Chaime Shérif, 28 ans. Elle n'aime pas le fait que la nouvelle Constitution, rédigée par un comité dominé par les islamistes, ne reconnaisse pas nommément les droits des femmes.

Tous contre Morsi

Femmes, enfants, adolescents masqués, fans de soccer, vendeurs de maïs et hommes d'affaires étaient tous de la partie, hier, à cette grande réunion de l'opposition égyptienne qui, depuis le début de la crise politique actuelle, a resserré les rangs.

Libéraux, socialistes et partisans de l'ex-président Hosni Moubarak ont trouvé en Mohamed Morsi un ennemi commun. «Cette mobilisation contre le président et sa maudite Constitution nous aura permis de voir qu'en s'alliant, nous sommes plus forts», a affirmé Mohammed Samir, homme d'affaires quinquagénaire.

Au cours du passage de La Presse, nombreux étaient ceux qui espéraient que la manifestation resterait pacifique. Une attaque au cocktail Molotov, survenue dans la nuit de lundi à mardi à la place Tahrir, où des centaines de militants de l'opposition sont installés en permanence, en avait inquiété plus d'un.

D'autant plus qu'hier, deux importantes manifestations pro-référendum et pro-Morsi se déroulaient à moins de cinq kilomètres de celle de l'opposition. Des dizaines de milliers de personnes ont répondu à l'invitation de l'Alliance des forces islamistes, qui avait organisé la marche «Oui à la légitimité». Ils se sont retrouvés près de deux mosquées de Nasser City.

Une dernière issue?

Les policiers, qui sont restés impuissants la semaine dernière lorsque les manifestants rivaux se sont affrontés en pleine nuit, étaient assistés hier par l'armée, déployée tout autour du palais présidentiel. On a accordé lundi de nouveaux pouvoirs aux militaires pour leur permettre de veiller au bon fonctionnement du référendum. Ils ont notamment le droit d'arrêter des manifestants.

Resté neutre depuis le début de la crise, le commandant des Forces armées, le général Abdel Fattah al-Sissi, a proposé d'agir en tant que médiateur dans une rencontre entre le président Morsi et son opposition aujourd'hui. «Je souhaite bonne chance à quiconque tentera de rallier les deux parties, a dit à La Presse Walid Magdi, un curieux qui était venu jeter un coup d'oeil à la manifestation. Ce sera un dialogue de sourds.»