Le procès de trois militantes européennes de Femen ayant manifesté seins nus à Tunis s'est ouvert mercredi, la défense se disant optimiste malgré la menace d'une peine de prison et la controverse suscitée dans un pays conservateur dirigé par des islamistes.

Le juge Karim Chebbi a prononcé une interruption d'audience en fin de matinée après que des avocats d'associations notamment islamistes ont demandé à être parties civiles.

«Nous demandons un report pour examiner le dossier et préparer notre plaidoirie», a déclaré Me Anouar Ouled Ali qui représente régulièrement les militants salafistes soupçonnés de violences.

De son côté la défense des Femen, a réclamé le rejet de cette demande et la remise en liberté des activistes détenues depuis une semaine.

Le juge doit trancher dans l'après-midi et pourrait fixer le procès à une date ultérieure.

Dans la matinée, une petite foule de quelques dizaines de personnes s'était rassemblée devant le palais de justice de Tunis où sont jugées deux Françaises, Pauline Hillier et Marguerite Stern, et l'Allemande Josephine Markmann, pour exprimer leur colère contre Femen.

«Comment peux-tu défendre ces femmes-là? Tu n'es pas Tunisien, tu n'es pas musulman, tu n'as pas de femme, de fille», a lancé l'un d'eux à un avocat tunisien des activistes.

Vers 9 h 30 GMT (5 h 30 à Montréal), les trois jeunes femmes sont entrées dans la salle d'audience habillées du safsari, un voile traditionnel tunisien qui recouvre la femme de la tête aux pieds.

Maître Patrick Klugman, venu de France pour représenter Femen et les familles des militantes, a indiqué avoir été autorisé à plaider, «un bon signe» selon lui, et s'est dit optimiste, le parquet ayant décidé de fonder son accusation sur la notion de «débauche» et non sur l'atteinte aux bonnes moeurs.

Ce délit reste passible de six mois de prison ferme.

«On reproche aux Femen d'avoir commis un acte de débauche, or l'infraction n'est pas constituée ni matériellement ni intellectuellement. Leur corps n'est pas un objet d'exhibition pour séduire, mais un message politique (...) qui est contraire à la débauche», a-t-il expliqué à l'AFP.

«Si on raisonne juridiquement, en aucun cas le tribunal, en respectant la loi, ne peut les condamner», a-t-il ajouté, assurant être aussi venu défendre «la liberté d'expression des femmes, des Femen et leur message».

«Nous allons demander qu'on écoute ces Femen au lieu de les regarder», a conclu Me Klugman.

Signe de la sensibilité du sujet dans ce pays conservateur dirigé par les islamistes d'Ennahda et confronté à l'essor de groupes salafistes, la Tunisie a arrêté dans son hôtel puis expulsé mardi, selon Femen, une militante ukrainienne venue soutenir ses consoeurs.

Le mouvement voit dans cet incident, que les autorités tunisiennes n'ont pas confirmé, un mauvais présage.

«C'est un signal que le tribunal ne jugera pas sur le droit, mais que sa décision sera politique», a estimé Inna Shevchenko, figure de proue de Femen basée à Paris.

Plusieurs activistes ont d'ailleurs effectué une prière musulmane dénudée devant l'ambassade de Tunisie en France.

Les militantes jugées avaient mené la première action seins nus de Femen du monde arabe le 29 mai en soutien à Amina Sbouï, une activiste tunisienne détenue depuis le 19 mai et qui doit être entendue par un juge d'instruction mercredi dans le cadre de poursuites pour atteinte aux bonnes moeurs et profanation de sépulture.

Le tribunal de Kairouan (centre) où l'interrogatoire est prévu était sous surveillance policière dans la matinée, selon un photographe de l'AFP, de peur de débordements, Amina ayant été arrêtée après avoir peint «FEMEN» sur un muret mitoyen d'un cimetière musulman pour dénoncer un rassemblement de la mouvance salafiste.

Le contenu de cette audition ne devrait pas être rendu public en raison du secret de l'instruction.

Ennahda n'a fait aucun commentaire sur l'offensive Femen bien qu'il en soit la cible première.

Ce parti se défend régulièrement de vouloir s'attaquer aux acquis des Tunisiennes, car si la législation ne garantit pas l'égalité des sexes en Tunisie, les femmes disposent du statut le plus libéral du monde arabe depuis les années 1950.

La dernière ébauche du projet de Constitution stipule que «tous les citoyens et citoyennes ont les mêmes droits et devoirs».

Cette formule semble pour le moment faire consensus. Elle a été négociée après qu'Ennahda a fait scandale en 2012 on voulant introduire la notion de «complémentarité» des sexes dans la loi fondamentale.