PARIS - Il est commandant de police et travaille dans un service spécialisé à la Direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne. Appelons-le Michel, puisque sa seule condition pour accepter de parler à  La Presse consistait à garder l'anonymat.

La jeune cinquantaine, 30 ans de métier, l'homme a l'habitude des opérations difficiles. Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher ? Il y était en janvier dernier. Il pensait jusque-là avoir tout vu. Mais ce 13 novembre 2015, lorsqu'il entre dans le Bataclan, il découvre un charnier : « On ne pouvait pas croire que ça puisse être possible à Paris. »

Michel est l'un des premiers policiers sur les lieux ce soir-là. Quelques agents locaux y sont déjà, mais compte tenu de son grade, il prend les choses en main et décide de s'approcher du Bataclan en formation tactique. À ce moment-là, il ignore si les terroristes se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur de la salle. 

« En longeant le mur, on s'est fait alpaguer par des gens affolés qui s'étaient réfugiés dans une porte-cochère. À l'intérieur, on s'est aperçus qu'il y avait beaucoup de blessés, relate Michel. On a procédé à des compressions manuelles. Ce n'était que des grosses blessures par balle. »

En temps normal, Michel aurait attendu les secours sur place en rassurant les blessés, mais il comprend vite que les pompiers n'entreront pas dans la zone de tir. « J'ai organisé l'évacuation des blessés à l'aide des policiers et sous couverture parce qu'on ne savait toujours pas où était la menace », poursuit-il. 

Après plusieurs allers-retours, ils réussissent à évacuer tout le monde, mais aux portes-cochères suivantes, la même scène se reproduit.

« C'EST COMPLÈTEMENT TAPISSÉ DE CORPS »

La chronologie des faits se bouscule alors un peu dans la tête de Michel, mais à un moment, il entend des coups de feu et apprend par des collègues qu'un policier a tiré sur un des terroristes. Dans la foulée, il constate que la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) est arrivée sur les lieux. Il doit aller la rejoindre. L'un des rôles de son service consiste en effet à venir en appui à la BRI.

Avec ses hommes, Michel se positionne alors derrière l'unité d'élite et se prépare à entrer dans le Bataclan.

« Et là, on entre et on se dit "on y est". » Il avance doucement avec les autres et là, Michel découvre l'horreur. « Tout l'orchestre est recouvert de corps et de personnes les unes sur les autres. C'est complètement tapissé de corps. On n'entend pas un mot, rien. On entend juste des sonneries de téléphone. En fait, des gens appellent des morts », nous dit Michel, la gorge nouée.

Étrangement, Michel n'a pas peur. « On est dans l'action, on ne se pose pas de questions, nous répond-il. La clé de tout, c'est la cohésion. Et c'est ça qui rend serein. On sait qu'on peut compter sur les autres. »

Ce soir-là, donc, Michel entre dans le Bataclan, serein, progresse dans la salle, enjambe des corps, sans savoir où se trouvent les terroristes.

Et puis, il raconte cette scène surréaliste pendant laquelle un homme déambule parmi les corps en avançant vers eux. Les policiers lui ordonnent de ne pas bouger et de lever les bras. L'homme obtempère et du même coup, « on voit une forêt de bras se lever », se souvient Michel. Entre les morts, il y avait donc plusieurs survivants. 

Avec ses hommes, le policier commence alors à évacuer prudemment les gens. « Pendant tout le temps que j'étais là, je me demandais pourquoi on ne s'était pas encore fait allumer. » Mais non. Aucun coup de feu n'a retenti jusqu'à l'assaut final. Les terroristes s'étaient déjà retranchés à l'étage.

« J'AI ENCORE LA GORGE QUI SE NOUE »

Après l'assaut, il leur faut évacuer les otages le plus rapidement possible. L'établissement aurait pu être piégé. Ils improvisent alors des brancards de fortune avec des portes et des barrières de sécurité métalliques. Et surtout, ils fouillent systématiquement chaque personne. Leur crainte permanente étant que des terroristes se soient mêlés aux victimes.

Dix jours ont passé depuis les attentats lorsque nous rencontrons Michel. On lui demande s'il accuse le contrecoup. « J'ai encore la gorge qui se noue quand j'en parle, mais j'arrive à dormir, nous dit-il. Après, on est très en colère. Et puis, on pense qu'on n'est pas touché, on pense que ça va. Mais en fait, ça va pas », finit-il par lancer.

« Je crois que le plus dur à gérer, c'est la compassion », ajoute Michel, ému, « parce que ça, on n'y peut rien ». Et il nous raconte l'histoire de cet homme qui cherchait sa femme. Ils s'étaient perdus juste à côté du Bataclan. Elle était blonde. Michel savait qu'elle était morte. Il l'avait vue parmi les victimes près de la salle, mais il a été incapable de le lui dire. 

« Je lui ai dit : "Elle est peut-être partie ailleurs, elle a été évacuée". Pour qu'il garde un petit peu d'espoir. »