Il est partout ces jours-ci: attaché précairement sur les clôtures qui bordent les lieux des attentats, jeté sur les épaules d'un jeune homme venu se recueillir, accroché au pied du micro d'un chanteur un peu bohème dans un bar du 11e arrondissement et même, chose inimaginable il y a peu, suspendu au balcon d'une résidence, boulevard Voltaire. Le drapeau bleu-blanc-rouge, avec lequel une large part de la population entretenait une relation complexe et distante, fait son grand retour en France. Explications.

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Rapport trouble

Afficher un drapeau n'est pas un acte aussi anodin en France qu'au Canada. En temps normal, «ce n'est pas quelque chose qui est complètement assumé par les Français», souligne à La Presse Céline Brecq, de la firme de sondage Odoxa, qui vient de réaliser un sondage sur la question pour Le Parisien. Dans ce même journal, un sociologue souligne que le drapeau est né juste après la Révolution française et les exécutions par guillotine, ce qui l'empêchait d'être un symbole «apaisé et rassembleur». Le journal Le Monde, lui, évoque un rapport «schizophrène» et un malaise en raison de l'usage du drapeau par les colonialistes, le régime collaborationniste de Vichy pendant la guerre et le Front national, parti d'extrême droite.

Le grand retour

Le sondage mené après les attentats révèle un grand retour: voilà que 93% des répondants sont attachés au drapeau et que 83% d'entre eux approuvent le mouvement mondial pour l'afficher sur Facebook. Les quatre concepts les plus associés au tricolore par les répondants sont la République, la Révolution française, la liberté et la résistance. «On a besoin de symboles, et le drapeau bleu-blanc-rouge en est un. En l'occurrence, on voit qu'il est associé à des choses positives plutôt qu'à un nationalisme chauvin. Des gens sont même prêts à le mettre sur leur maison, alors que personne ne fait ça en France, ça n'existe pas!», affirme Mme Brecq.

Explosion des ventes

Cet engouement a mené à une explosion des ventes, confirme à La Presse Luc Doublet, PDG de l'entreprise Doublet, principal fabricant de drapeaux en France. «Absolument. Nous avons en moyenne 2000 connexions par jour sur notre site, et c'est passé à 10 000. Les gens commandent le drapeau, mais se renseignent aussi sur la façon de le mettre en berne, etc. En même temps, nous sommes tristes de le fabriquer. J'aimerais mieux le faire pour les Jeux olympiques ou la Coupe du monde. Mais je suis content qu'il y ait une réappropriation du drapeau par la population. C'est bien que ce symbole de la nation appartienne vraiment à tout le monde. Ça veut dire qu'on existe et qu'ils ne passeront pas.»

Une vieille histoire

Le drapeau tire ses origines de la Révolution, alors que, sous la pression du peuple en armes, Louis XVI accepte d'arborer une cocarde combinant le blanc, couleur du roi, au rouge et au bleu, couleurs de la ville de Paris insurgée. Adopté puis abandonné au fil des décennies suivantes, le tricolore s'est imposé pour de bon en 1848. Selon Céline Brecq, il a connu d'autres regains de popularité sporadiques avant aujourd'hui, notamment lors de la Coupe du monde de 1998 et après les attentats de Charlie Hebdo en janvier dernier.