Le premier ministre islamo-conservateur turc Ahmet Davutoglu a salué dimanche une «journée historique» dans le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne avant un sommet convoqué à Bruxelles entre les 28 membres de l'UE et son pays pour faire face à la crise migratoire.

«Je remercie tous les leaders européens pour ce nouveau début», a expliqué aux journalistes le chef du gouvernement turc, estimant que ce sommet extraordinaire consacrerait «le début d'un nouveau processus» dans les rapports entre Ankara et les pays de l'Union.

«Il s'agit d'une journée historique pour notre processus d'adhésion à l'UE», a continué M. Davutoglu qui a précisé que «les derniers développements» seraient aussi évoqués, en allusion à la grave crise turco-russe après qu'un chasseur russe a été abattu à la frontière turco-syrienne par l'aviation turque.

Évoquant la crise des migrants en quittant Ankara pour Bruxelles, le premier ministre turc avait auparavant averti que la Turquie, qui accueille sur son sol 2,2 millions de réfugiés syriens, «ne doit pas porter seule le problème migratoire».

Ce sommet devrait déboucher dans la soirée sur la promesse d'un fonds de 3 mds d'euros pour Ankara, afin de freiner le flux des réfugiés vers l'Europe, et de l'accélération des négociations en cours pour faciliter la délivrance de visas européens aux citoyens turcs. Et aussi, d'un coup de fouet aux négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, au point mort. Un nouveau chapitre de l'acquis communautaire qui porte sur les politiques économiques et monétaires (chapitre 17), sera ouvert à la mi-décembre, a d'ores et déjà annoncé Ankara la semaine dernière.

«Le seul fait qu'un tel sommet est organisé avec la Turquie après un intervalle de 11 ans est un développement majeur pour nous», s'est félicitée auprès de l'AFP une source gouvernementale turque.

«Outre la question des réfugiés qui est évidemment très importante, nous obtenons ici d'importantes avancées pour notre processus d'adhésion», a ajouté cette source sous couvert d'anonymat»

Les Européens sont plus pressants depuis la révélation que certains kamikazes des attentats de Paris ont emprunté cet itinéraire. L'avion russe abattu par la Turquie sur sa frontière syrienne rend le contexte de ces tractations encore plus délicat.

Demandes des Turcs

Quant aux Turcs, ils sont décidés à récolter des fruits politiques, s'ils acceptent comme prévu d'activer le plan d'action commun négocié ces dernières semaines avec la Commission européenne.

La rencontre de dimanche entre la Turquie et l'UE doit être orchestrée par le président du Conseil européen Donald Tusk, qui l'a convoquée malgré l'alerte à la menace terroriste à Bruxelles.

Le sommet devrait déboucher dimanche soir sur la promesse d'accélérer les négociations en cours pour faciliter la délivrance de visas européens aux citoyens turcs. Et de « redynamiser » les négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, au point mort.

« On nous a dit que le chapitre 17 des négociations (politiques économiques) sera ouvert vers la mi-décembre », s'était félicité jeudi le président Recep Tayyip Erdogan. Les Turcs veulent en ouvrir rapidement d'autres, explique une source diplomatique.

Réticences

Si l'Allemagne a beaucoup poussé pour la tenue du sommet, une source européenne souligne les réticences de la Grèce et surtout de Chypre. D'autres États membres craignent de donner l'impression à la Turquie que l'Europe abaisse ses exigences.

L'UE a récemment fustigé « les graves reculs » de la liberté d'expression en Turquie, et juge « inquiétante » la situation de deux journalistes turcs, inculpés et écroués pour un article sur de possibles livraisons d'armes par les services secrets turcs à des islamistes en Syrie.

Pour Reporters sans frontières, l'UE et ses États membres doivent « sommer les autorités turques de libérer immédiatement » ces journalistes, lors du sommet.

Trois milliards, « sur un ou deux ans? »

« Il est hors de question de brader » les principes européens « sur l'autel des préoccupations migratoires », assure une source européenne, soulignant que la libéralisation des visas pourra se faire uniquement si la Turquie s'engage à réadmettre davantage de migrants ayant franchi illégalement sa frontière.

Côté finances, les 3 milliards d'euros sont acquis. « Mais est-ce sur un an ou sur deux ans? Faut-il procéder par étapes? Le sommet laissera planer une ambiguïté », explique une autre source européenne.

Les Européens ne devraient pas non plus trancher dimanche la question de la provenance des fonds. La Commission propose d'apporter 500 millions et demande aux États membres de verser le reste. Ils ne sont « globalement pas d'accord », prévient une source diplomatique.

Pour la Turquie, qui dit avoir déjà dépensé 7 milliards d'euros pour accueillir les réfugiés, les 3 milliards ne sont qu'un début. « Il ne s'agit pas là de dire pour l'Europe "Voici l'argent, gardez sur votre sol les Syriens", cette approche n'est pas correcte », prévient une source gouvernementale turque.

Les Européens rechignent aussi à s'engager pour répartir dans l'UE une partie des réfugiés accueillis en Turquie. « La chancelière allemande (Angela Merkel) tient à ce que le principe de la réinstallation figure dans la déclaration politique », mais nombre d'États s'y opposent, échaudés par leurs déchirements sur le plan de « relocalisation » de réfugiés déjà arrivés en Grèce et en Italie.

Pour Marc Pierini, chercheur à Carnegie Europe, un des principaux enjeux du sommet « est la liberté d'action des passeurs qui opèrent en plein jour » en mer Égée depuis les côtes turques. « C'est un énorme business d'un milliard d'euros par an », auquel il faut que la Turquie s'attaque, souligne-t-il.