Au lendemain de la démission d'Otto Perez, accusé de corruption et traduit en justice, le Guatemala est présidé, provisoirement, par Alejandro Maldonado qui a prêté serment jeudi, dans un climat de liesse populaire à trois jours des élections.

Devant le Parlement, M. Maldonado, jusque-là vice-président, a prêté serment sur la Constitution, avant de revêtir l'écharpe nationale, blanche et bleu ciel.

Avocat et notaire de 79 ans, il était jusqu'en mai l'un des cinq membres de la Cour constitutionnelle, avant d'être appelé à la vice-présidence pour remplacer Roxana Baldetti, démissionnaire puis placée en détention provisoire dans le cadre du même dossier de corruption que celui dans lequel est impliqué Otto Pérez.

Ce dernier est accusé par le parquet et une commission de l'ONU contre l'impunité (Cicig) d'avoir dirigé un système de corruption au sein des douanes via lequel des fonctionnaires touchaient des pots-de-vin pour exonérer de taxes certaines importations.

Le dirigeant conservateur Otto Pérez, au pouvoir depuis 2012, était interrogé depuis jeudi matin par le juge Miguel Angel Galvez, qui a émis mercredi soir un mandat d'arrêt contre lui, précipitant sa démission.

En costume sombre et cravate rouge, l'air préoccupé, l'ex-général de 64 ans a assuré sur une radio locale qu'il «affronter(ait) avec courage (la justice), car (il n'a) rien fait de mal».

Durant l'audience, il a paru gêné, baissant les yeux quand l'accusation a diffusé plusieurs enregistrements téléphoniques le mettant en cause.

Le parquet a d'ores et déjà annoncé qu'il demanderait son placement en détention provisoire.

Le procureur Antonio Morales l'a accusé de «faire partie d'une bande criminelle qui opérait depuis mai 2014 avec l'objectif de voler l'État». Il a estimé que le dirigeant a pu recevoir 3,7 millions de dollars en pots-de vin, tandis que Mme Baldetti est, elle, soupçonnée d'avoir touché 3,8 millions, notamment via des chèques libellés à son nom.

L'audition du président, deux jours après avoir été privé de son immunité par un vote du Parlement - mesure inédite dans l'histoire du Guatemala -, survient à trois jours seulement du premier tour des élections présidentielle, législatives et municipales de dimanche.

M. Pérez n'était pas candidat, la Constitution n'autorisant qu'un seul mandat.

Dès l'annonce, dans la nuit, de sa démission, des dizaines de Guatémaltèques ont accouru devant la Cour suprême, au son de sifflets et scandant «Otto, voleur, tu vas aller à Pavon», l'une des principales prisons du Guatemala.

Un humoriste en tête des sondages

Malgré les nombreux appels à la démission, Otto Pérez avait répété ces dernières semaines, qu'il ne quitterait pas son poste avant la fin de son mandat le 14 janvier prochain.

Il a finalement cédé à une mobilisation populaire sans précédent dans ce pays pauvre d'Amérique centrale, avec des manifestations pacifiques organisées chaque semaine depuis avril, quand le scandale a éclaté.

Les manifestants réclament le report du scrutin, souhaitant d'abord une vaste refonte du système politique pour le purger d'une corruption endémique.

Signe d'un renversement de situation, l'humoriste Jimmy Morales, candidat pour un parti de droite et sans expérience politique, est désormais en tête des intentions de vote à la présidentielle, selon un sondage publié jeudi.

A 46 ans, il est crédité de 25% des suffrages, dépassant Manuel Baldizon (droite, 22,9%), le favori jusqu'alors, et la sociale-démocrate Sandra Torres, ex-première dame, avec 18,4%, selon l'enquête effectuée quelques jours avant la démission du président.

Les deux places pour le deuxième tour du 25 octobre devraient donc se jouer entre ces trois candidats sur les 14 inscrits.

Le contexte atypique d'ébullition populaire a poussé le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, à appeler dans un communiqué «tous les Guatémaltèques à faire en sorte que les élections se tiennent dans un environnement pacifique».

Dimanche, quelque 7,5 millions de Guatémaltèques, sur 15,8 millions d'habitants, sont appelés aux urnes pour désigner le nouveau chef de l'État, ainsi que 158 députés et 338 maires.

Le Guatemala, marqué par 36 ans de guerre civile (1960-1996), reste, au plan mondial, l'un des pays enregistrant le plus de violences liées à la criminalité avec 6000 morts par an.

DES ACCORDS DE PAIX À LA DÉMISSION

Salué comme signataire des accords de paix mettant fin à 36 ans de guerre civile au Guatemala, le président Otto Pérez, qui a démissionné après des poursuites pour corruption, est un ancien militaire de haut rang dont la population n'a pas pardonné les écarts de conduite.

À son arrivée au pouvoir en 2012, ce conservateur à la soixantaine sportive et aux cheveux poivre et sel promettait de lutter d'une «main de fer» contre la criminalité, dans ce pays d'Amérique centrale parmi les plus violents au monde.

D'un verbe sobre, mais tranchant trahissant son passé de général, il comptait mettre à profit son expérience de 34 ans au sein de l'armée, opposée à une guérilla pendant un conflit ayant ravagé le pays et fait quelque 200 000 morts et disparus entre 1960 et 1996.

Quatre ans plus tard, même si la situation sur le front de la sécurité ne s'est pas améliorée, ce n'est pas cela que lui reprochent des milliers de Guatémaltèques.

S'ils manifestent depuis des mois, c'est pour dénoncer son implication présumée dans un vaste réseau de corruption dont il serait le «numéro un» selon le parquet et la CICIG.

«C'est le prototype de l'homme politique guatémaltèque, très apprécié des élites qui ne veulent pas que les choses changent», soupire Manfredo Marroquin, directeur de l'ONG Accion Ciudadana, branche locale de l'organisation anticorruption Transparency International.

«Sa plus grande erreur a été de croire dans le régime d'impunité» qui prévalait avant et mis à mal par la Cicig, ajoute-t-il.

«Un homme dangereux»

Retranché dans le palais présidentiel, l'ex-responsable des services de renseignement militaire de 64 ans a martelé pendant des semaines qu'il ne partirait pas avant la fin de son mandat, avant de céder et présenter sa démission à quelques heures d'une audience devant le juge qui pouvait entraîner sa destitution automatique.

«Il vient d'une formation Kaibil (l'élite de l'armée guatémaltèque, ndlr) et les Kaibil ne se rendent jamais», racontait récemment à l'AFP la militante indigène Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix 1992.

«C'est aussi un homme de guerre, un homme des services de renseignement, un homme dangereux», qui «peut préparer des stratégies de choc» pour faire face aux manifestations, assurait-elle.

Ses soutiens assurent que le dirigeant a une grande capacité d'écoute. Il a également surpris en soutenant la légalisation des drogues comme moyen de lutte contre le narcotrafic.

Selon ses opposants, c'est surtout dans l'art de placer des proches à des postes-clés qu'il s'est illustré, afin notamment de contrôler l'organisme de collecte des impôts.

Né à Guatemala Ciudad le 1er décembre 1950, le «Général de la Paix», surnom qu'il aime à entretenir depuis qu'il a signé au nom de l'armée les accords ayant mis fin à la guerre en 1996, a raccroché l'uniforme il y a 15 ans pour faire son entrée en politique.

Une reconversion qui a failli tourner court, l'homme ayant échappé de peu, avec sa femme et sa fille, à une tentative d'assassinat en 2001, trois jours seulement après avoir créé son parti.

Battu au deuxième tour de la présidentielle de 2007 par Alvaro Colom, Otto Pérez avait ensuite fait campagne en 2011 en jean et bras de chemise orange, la couleur de sa formation, un nouveau style lui valant le surnom de «Général en jean».

Marié, père de deux enfants, il a été le premier militaire à parvenir au sommet de l'État depuis le retour à la démocratie en 1985, une ascension alors perçue comme un antidote à la corruption endémique au sein des administrations.

Mardi, il est devenu le premier président de l'histoire du pays à perdre son immunité, justement pour corruption présumée.

Formé à l'École des Amériques, centre géré par les États-Unis spécialisé dans les méthodes contre-insurrectionnelles, et déjà inculpé à plusieurs reprises pour des cas de violation des droits de l'homme pendant la guerre civile, il a toujours nié ces accusations.