Des hommes, femmes, enfants et personnes âgées ont massivement dénoncé mercredi en Argentine les violences faites aux femmes, une mobilisation historique après une série de féminicides ayant scandalisé le pays, une indignation partagée par d'autres pays d'Amérique latine.

Des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Buenos Aires devant le Parlement et d'autres manifestations ont eu lieu dans le reste du pays, au Chili, en Uruguay et à Mexico.

«Cette mobilisation a surgi car il y a eu récemment trois féminicides emblématiques (...) On perçoit un point d'inflexion social et politique», explique Fabiana Túñez, responsable de l'ONG Casa del Encuentro, porte-drapeau du mouvement.

Une institutrice de maternelle a été égorgée par son ex-mari devant ses élèves.

Une adolescente de 14 ans enceinte a été tuée puis enterrée dans le jardin de la maison familiale par son ex-petit ami de 16 ans, aidé par des proches.

Une femme a été criblée de balles par son ex-compagnon éconduit alors qu'elle se trouvait à la terrasse d'un café.

Si les femmes - certaines victimes de la violence machiste, les autres par solidarité - étaient majoritaires dans la marche de mercredi, les hommes étaient aussi présents en nombre. Certains car ils avaient perdu une fille.

Des centaines de noms de femmes étaient écrits sur un mur de feuilles blanches, où les manifestants étaient invités à poser leurs mains après les avoir trempées dans de la peinture rouge.

Pour Maria Elena Cornide, chef d'entreprise de 36 ans, «c'est le réveil social, contre l'injustice». Et «les violences familiales ne sont pas le seul fléau dont souffrent les femmes», notamment parce qu'«elles sont moins payées que les hommes».

Ilse Fuscoba, 86 ans, cheveux blancs et silhouette frêle, tenait un écriteau sur lequel on pouvait lire : «La société humaine ne peut pas se baser seulement sur le modèle masculin patriarcal».

«Ni la manière de s'habiller, ni les coutumes ne peuvent justifier un abus», revendiquaient un groupe de manifestantes.

À Santiago du Chili, une centaine de personnes brandissaient des pancartes disant «En deuil et en colère».

Tuée parce qu'elle est tombée enceinte, poignardée par jalousie, assassinée après un divorce : toutes les 31 heures, un féminicide est commis en Argentine. Selon l'ONG Casa del encuentro, 277 féminicides ont été commis en 2014.

Et entre 2010 et 2012, 53 femmes sont mortes brûlées vives.

La situation est encore plus alarmante au Mexique, en Amérique centrale ou au Brésil.



«Démanteler la culture machiste»


Ces homicides de jeunes filles ou de femmes dont parlent les médias argentins ne représentent qu'une infime portion de tous les féminicides perpétrés dans le pays, «dans une société malade de paradigmes machistes où la femme est encore une "chose à dominer"», dénonce Fabiana Tuñez, directrice de Casa del Encuentro.

«Face à ça, l'État est en retard», affirme cette militante.

«Nous demandons l'application d'un plan national pour éradiquer la violence de genre : cela passe entre autres par l'élaboration de statistiques officielles, ou par une réforme éducative qui inclurait l'enseignement du sujet de la violence de genre. Il reste encore beaucoup à faire pour démanteler la culture machiste dans notre pays».

La présidente Cristina Kirchner et le footballeur Lionel Messi ont apporté leur soutien à la mobilisation.

La première a pointé du doigt d'autres formes de violence, comme le harcèlement de rue ou les émissions télévisées «qui présentent la femme comme une chose, qui montrent des seins et des fesses tripotés en public... La femme est convertie en objet, et il y aura donc toujours quelqu'un pour considérer que s'il ne la possède pas, il peut la briser».

«Les féminicides, ça suffit. De Barcelone, nous nous joignons à tous les Argentins pour crier bien fort NiUnaMenos («Pas une de moins», le slogan de ralliement)», a déclaré Messi sur son compte Facebook.

Le féminicide a été inscrit dans le code pénal argentin en 2012 comme circonstance aggravante d'un l'homicide. Alors que l'homicide est puni de 12 à 25 ans de prison, la peine encourue est élevée à la perpétuité en cas de féminicide.

Ce crime est intégré dans la législation de 15 autres pays latino-américains, dont le Chili, le Pérou, la Colombie et, depuis cette année, le Brésil.

En France, le terme est entré dans le Petit Robert en 2014 mais pas dans la loi. Jean-François Bouvier, père d'une des deux jeunes femmes assassinées à Salta (nord-ouest argentin) en 2011, milite pour que cette notion figure dans le code pénal, en France aussi.