Hugo Chavez, qui a transformé le Venezuela et l'Amérique latine, est mort hier à l'âge de 58 ans. Il venait tout juste de remporter un troisième mandat confirmant sa popularité, malgré un cancer inquiétant. Président du pays depuis 1998, l'ancien militaire a bâti sa carrière sur la redistribution de la manne pétrolière vers les plus pauvres.

«Chavez a voulu redonner leur voix aux laissés-pour-compte», explique David Levine, politologue de l'Université du Michigan, qui a inventé l'expression «démocratie participative non représentative» pour décrire le «chavisme». Il a voulu convaincre «des gens qui n'avaient pas le sentiment d'être vénézuéliens que l'État était le leur. Mais, pour ce faire, il a décidé qu'il fallait diminuer la valeur des voix des autres Vénézuéliens, des riches et de la classe moyenne, des entrepreneurs. Il a instauré un processus arbitraire de suspension des droits civiques et des droits de vote et de se porter candidat. Pour lui, c'était la seule manière pour que tous les citoyens aient une voix égale.»

Né dans un petit village des Andes, Hugo Chavez Friar était destiné par sa mère à devenir prêtre catholique. Son père, politicien, a été gouverneur de son État natal de 2000 à 2008. Le jeune Chavez a plutôt choisi l'académie militaire. Selon sa seconde conjointe, l'historienne Herma Marksmann, il a été influencé par un professeur gauchiste du lycée, qui a éveillé en lui un sentiment d'admiration pour la révolution cubaine.

Après ses études, il a été affecté à la répression d'un mouvement armé communiste dans les Andes, puis sur la côte, dans la région pétrolifère. «Il a fini par sympathiser avec les rebelles», explique Steve Ellner, politologue de l'Université de l'Est au Venezuela. En contravention avec les règlements interdisant toute participation des militaires à la vie politique, il a participé, en 1977, à la campagne présidentielle de Jose Vicente Rangel, candidat de gauche qui n'a obtenu que 5% des voix. Chavez fera de Rangel son vice-président.

En 1982, il a participé à la formation d'un mouvement révolutionnaire militaire inspiré de celui de Simon Bolivar, le héros qui a chassé les Espagnols de l'Amérique du Sud au XIXe siècle. «Le Venezuela a été démocratique relativement tôt, en 1958, mais les partis politiques se sont entendus ensemble pour se partager le pouvoir et les revenus du pétrole, explique M. Ellner. C'est devenu un système fermé qui a laissé une grande partie de la population sans grand pouvoir. Les luttes de gauche étaient finalement aussi nécessaires qu'ailleurs sur le continent.»

Le mouvement militaire bolivarien a finalement fait un coup d'État en 1992. Il était toutefois mal coordonné et ses leaders, dont M. Chavez, ont été condamnés à la prison. En 1994, le président lui a accordé un pardon qui lui a permis de fonder un mouvement politique formel, qui mènera Hugo Chavez à la présidence en 1998.

«La présidence Chavez a été l'occasion de grands changements constitutionnels, explique M. Levine. Il a concentré graduellement le pouvoir au sommet, à la présidence, avec une implication de plus en plus marquée de l'armée. Il s'est servi d'élections fréquentes comme des plébiscites.»

Une foule de programmes sociaux ont été lancés, grâce à la manne pétrolière du nouveau millénaire. La société pétrolière d'État devait remettre presque tous ses revenus et le manque d'investissements a provoqué une chute du quart de la production, même si le pays détient les premières réserves non conventionnelles du monde. Le président Chavez vendait plus du tiers de la production au rabais à ses alliés, comme Cuba.

«Pour avoir accès aux programmes sociaux, les pauvres devaient avoir une carte d'identité, explique Manuel Hidalgo Trenado, politologue de l'Université Charles III de Madrid. Ça a beaucoup augmenté l'enregistrement des électeurs dans les classes les plus favorables à Chavez. Des alliés ont aussi publié les noms des électeurs ayant signé le registre qui a obligé la tenue d'une élection de rappel en 2004. Des études ont montré que ces personnes ont connu une baisse de leurs revenus liée à cette publication.»

Un règne trouble

En avril 2002, un putsch a chassé Hugo Chavez du pouvoir pendant trois jours - le gouvernement intérimaire a été reconnu par les États-Unis, ce qui a accentué l'hostilité du chavisme envers l'influence américaine dans la région. Au début de 2003, une grève dans l'industrie pétrolière a paralysé le pays, mais a permis à Chavez de prendre le contrôle d'un pôle crucial de l'opposition.

«La grande erreur de Chavez, ç'a été de profiter des défaites de l'opposition pour gouverner seulement pour une portion de la population, les plus pauvres», estime Pedro Rodriguez, de l'Association des Vénézuéliens de Québec.

Hugo Chavez n'avait pas le choix, réplique Steve Ellner. «Il faisait face à une opposition extrêmement violente dans ses attaques. Ce n'était pas une opposition loyale.»

Le cinéaste montréalais Charles Gervais a tourné en 2005-2006 un documentaire sur Hugo Chavez, Revolución. «Au départ, j'étais plutôt favorable à ses politiques, comme beaucoup de Québécois, dit M. Gervais. Mais j'ai vu qu'il était associé à des extrémistes et que lui-même avait un discours très violent envers l'opposition. Les riches du Venezuela n'ont pas raison de s'opposer à ce que les revenus du pétrole financent l'éducation et la santé pour les plus pauvres. Mais Chavez n'a vraiment pas cherché à représenter tous les Vénézuéliens.»