L'Alberta, de loin la plus importante pollueuse canadienne, est absente du sommet provincial sur le climat. Le premier ministre Jim Prentice vient de déclencher des élections, et il a annoncé qu'on ne saurait rien pendant la campagne de ce qu'il compte proposer, en juin, comme nouvelle politique climatique.

Mais est-ce l'impact de tous ces projets de pipeline qui piétinent ? La province est mûre pour un resserrement de sa réglementation climatique, selon plusieurs observateurs interviewés par La Presse.

En effet, Keystone XL, Northern Gateway ou Énergie Est n'évoquent plus de discrètes conduites souterraines. Ces projets essentiels pour l'expansion de l'industrie des sables bitumineux albertains sont devenus synonymes de dérèglement climatique et de pollution à grande échelle.

Et, à l'instar du président des États-Unis Barack Obama, qui bloque la construction du projet Keystone XL, les politiciens à l'extérieur de l'Alberta ne peuvent plus ignorer les opposants aux pipelines. Cette nouvelle réalité fait maintenant partie de la donne politique dans cette province.

« Je ne crois pas qu'on puisse parler d'accès aux marchés pour le pétrole albertain sans discuter de la politique climatique », affirme Andrew Leach, professeur de politiques énergétiques à l'Université d'Alberta.

Selon Trevor McLeod, de la Canada West Foundation, « l'humeur a changé de manière substantielle en Alberta ». « Publiquement, il y a des acteurs, notamment dans l'industrie pétrolière, qui campent sur leurs positions, mais le gouvernement est déterminé à agir sur le plan climatique. »

« M. Prentice va bouger sur la tarification du carbone, mais il ne veut pas le faire pour rien, poursuit-il. Il fait le lien entre les deux [pipelines et contrôle de la pollution]. Il veut aider les projets de pipelines. Ce qu'il recherche, c'est une grande entente sur tout. »

Qui paiera la facture?

Mais si l'Alberta décide de hausser le prix de la pollution climatique, qui va payer ?

Dans le secteur pétrolier, des dirigeants se sont prononcés récemment pour l'instauration d'un prix uniforme sur la pollution carbonique en Alberta. Notamment André Goffart, président de la filiale canadienne de Total, et Brian Ferguson, PDG de Cenovus Energy.

Concrètement, cela voudrait dire faire payer la facture aux autres secteurs et aux consommateurs.

L'industrie pétrolière résiste à tout resserrement à son égard.

Selon des documents internes révélés en 2013 par Greenpeace, l'Association canadienne des produits pétroliers (ACPP) se disait incapable d'absorber la hausse du coût du système actuel de tarification des émissions de gaz à effet de serre (GES).

L'industrie vit très bien avec ce système mis en place en 2007, peut-être en raison de sa complète inefficacité, telle qu'elle a été constatée dans un rapport récent d'une commission pancanadienne d'économistes.

Selon les calculs de M. Leach, la politique en vigueur actuellement en Alberta coûte à l'industrie 3 cents par baril de pétrole.

L'opposition de l'industrie était déjà farouche en 2013, avec le pétrole à 100 $ le baril. Elle n'a pu que s'intensifier avec le prix du pétrole en chute libre.

Le premier ministre Stephen Harper a d'ailleurs qualifié de « folie » l'idée d'imposer une taxe carbone au Canada avec la chute des prix du pétrole.

Un discours qui trouve évidemment son écho en Alberta. Encore la semaine dernière, dans une lettre ouverte publiée dans l'Edmonton Journal, le président de l'ACPP mettait en garde le gouvernement provincial contre toute nouvelle charge fiscale.

Mais est-ce que la rentabilité du secteur pétrolier albertain est à ce point fragile ?

Pas selon Andrew Leach : « La marge de profit serait plus basse, mais ce serait quand même profitable, dit-il. J'aime mieux ce discours que le contraire, qui équivaut à dire que notre industrie est incompatible avec un politique climatique efficace. »

Contribution demandée

De son côté, l'industrie estime qu'il est temps pour le reste de l'économie albertaine d'apporter sa contribution.

« Même si le coût pour nous n'était que 1 $ par baril, nous aurions des défis sur le plan de la concurrence. Si ce coût n'est pas présent par exemple aux États-Unis, ça influence les décisions d'investissements. », affirme Alex Ferguson, vice-président, affaires gouvernementales, à l'ACPP

Il prône un prix carbone appliqué à l'ensemble de l'économie, y compris lors de la consommation du pétrole. « Chaque molécule de CO2 est importante, dit-il. Et 80 % des émissions reliées au pétrole surviennent lors de son utilisation. »

Justement, fait remarquer Andrew Leach : le premier budget Prentice a imposé une taxe sur l'essence de 4 cents le litre. « Ils ne l'ont pas étiquetée comme cela, mais c'est comme s'ils avaient introduit une taxe carbone de 18 $ la tonne, dit-il. Et même si ce n'est pas nécessairement bien accueilli, personne n'a affirmé que l'économie albertaine allait s'effondrer pour autant. »

Même si cela correspond exactement à son point de vue, pas question pour l'ACPP d'appuyer cette mesure politiquement impopulaire. « C'est une décision politique », dit M. Ferguson.