Loin de causer une catastrophe économique, la lutte contre les changements climatiques, et en particulier l'objectif de freiner le réchauffement à 2 degrés Celsius, donnera un petit coup de pouce à l'économie mondiale. C'est Citigroup, une des plus grosses banques mondiales, qui l'affirme dans un nouveau rapport. Ce rapport a été rédigé par un groupe d'experts de Citigroup comprenant l'économiste Ebrahim Rahbari - celui qui a inventé le terme « Grexit » -, le chef de la stratégie énergétique Seth Kleinman et les chefs de la recherche des secteurs des mines et des matières premières.

Un coût infime, dans le contexte

Citigroup compare le coût de deux scénarios, l'un où l'on ne ferait rien pour lutter contre le réchauffement («inaction») et un autre où l'on ferait les choix énergétiques qui pourraient permettre de le freiner à 2 degrés Celsius («action»). Résultat: le scénario d'action est tout à fait réaliste. «Une fois mis en contexte, les coûts supplémentaires de la voie à faible carbone sont limités et semblent abordables, et les rendements sur ces investissements sont acceptables. De plus, les pertes qui seront probablement évitées sont énormes.»

Investissements supplémentaires requis dans les technologies à faible carbone d'ici 2040.

• 0,1% du PIB

• 1800 milliards

Impact économique en 2060 d'un réchauffement de 2,5 °C

• 1,1% du PIB

• 44 000 milliards

Impact économique en 2060 d'un réchauffement de 4,5 °C

• 2,5% du PIB

• 72 000 milliards

Source: Citigroup, Energy Darwinism II, août 2015

Un boom solaire et éolien 

Le rapport se penche d'abord - et longuement - sur les façons de réduire l'utilisation du charbon dans la production d'électricité. Les auteurs tablent sur une accélération de la production d'énergie solaire et éolienne, dont les coûts sont en baisse et qui sont déjà concurrentiels avec le charbon sur plusieurs marchés. Citigroup mise sur une hausse dans les ajouts annuels de panneaux solaires et d'éoliennes sur la planète.

2014

• Nouveaux panneaux solaires: 45 001 MW

• Nouvelles éoliennes: 51 473 MW

2020

• Nouveaux panneaux solaires: 72 261 MW

• Nouvelles éoliennes: 60 298 MW

Source: Citigroup, Energy Darwinism II, août 2015

Des gagnants et des perdants

Ce scénario à faible carbone fera des gagnants et des perdants, bien sûr. Les plus gros perdants seront le charbon et le pétrole, qui affichent tous deux des reculs de plus de 10 000 milliards en termes d'investissements d'ici 2040. En revanche, le secteur du bâtiment et de l'industrie ainsi que les technologies de transport sont stimulés par les efforts d'efficacité énergétique.

Les sables bitumineux désavantagés

La banque, qui est impliquée dans le financement de centaines de mégaprojets énergétiques sur la planète, est déjà capable d'identifier les secteurs à risque dans un monde à faible teneur en carbone. Parmi ceux-ci: les sables bitumineux. Selon le rapport, environ 40% des 325 investissements gaziers et pétroliers envisagés actuellement sont sujets à être «retardés ou annulés» dans un scénario à faible carbone, où par hypothèse le prix du baril de pétrole serait à 75$US. Parmi ceux-ci, on trouve des projets canadiens, comme la mine de sables bitumineux Joslyn (Total, Suncor et Occidental Petroleum) ou divers projets de pétrole ou de gaz de schiste dans le gisement Duvernay, en Alberta. «Les investissements dans le gaz naturel liquéfié, le pétrole lourd et les sables bitumineux sont les plus à risque», affirme-t-on dans le rapport.

Cent mille milliards

C'est la valeur des réserves de charbon, pétrole et gaz qui devront rester inexploitées afin de stabiliser le climat, affirme Citigroup dans son rapport. La plus grande perdante est l'industrie du charbon. Citigroup cite une étude de l'Agence internationale de l'énergie selon laquelle un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et 80% des réserves de charbon doivent rester dans le sol, si on veut limiter le réchauffement à 2 °C. Cependant, précise Citigroup, les marchés ont déjà accusé une partie de cette perte avec la chute de la valeur des entreprises du secteur du charbon et les reculs boursiers récents dans le secteur pétrolier.

Le budget carbone, une idée qui fait du chemin

H. Damon Matthews est un des chercheurs qui ont prouvé que nous avons dépensé une grande partie de notre «budget carbone» depuis 200 ans. Il a aussi conclu qu'on ne pourra stabiliser le climat sans que les émissions de gaz à effet de serre (GES) tombent à presque zéro. Aujourd'hui professeur à l'Université Concordia, il se réjouit que son concept de «budget carbone », publié en 2009 dans la revue Nature, fasse son entrée dans les rapports financiers. En effet, le rapport de Citigroup ne cesse de s'y référer. «C'est un signe que mon domaine de recherche commence à s'imposer dans la sphère financière, a-t-il indiqué en entrevue avec La Presse. Et ils disent que c'est faisable de respecter le budget. Mais j'aimerais que leur horizon dépasse le milieu du siècle, même si je sais que c'est peut-être difficile de faire des prévisions économiques à plus long terme.»