L'Union européenne annonçait fin avril que l'usage de semences enrobées aux néonicotinoïdes serait suspendu pour deux ans.

Ici, c'est le gouvernement fédéral qui règlemente les pesticides, par le biais de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA).

Les apiculteurs dénoncent le fait que l'un des pesticides, la clothianidine, est utilisé depuis huit ans sous une homologation provisoire. Et que le processus de révision de tous les néonicotinoïdes, lancé l'an dernier, va prendre encore des années.

Selon le ministère de l'Agriculture du Québec (MAPAQ), et plusieurs autres autorités, les pesticides ne sont qu'un des problèmes pouvant contribuer au déclin des abeilles.

«Le dépérissement des ruches, c'est un fait qui est noté dans plusieurs pays, mais qui s'explique par plusieurs facteurs», dit Claude Boucher, vétérinaire à la Direction de la santé animale au MAPAQ et responsable du Réseau sentinelle apicole.

Le gouvernement américain en est venu à une conclusion similaire récemment. Les abeilles sont victimes de multiples parasites et virus qui profitent peut-être d'un affaiblissement du système immunitaire des insectes.

Mais l'empoisonnement aigu observé au printemps est bien réel. «Souvent, il y a de la poussière qui est libérée lors du semis, reconnaît M. Boucher. Personne ne nie ça aujourd'hui. On tente de régler ça avec les gens de l'industrie.»

Des pressions commerciales

Luc Montour est président de l'Association des conditionneurs du Québec, en plus de cultiver le maïs, le soya et le blé.

Au nombre d'une soixantaine, les conditionneurs préparent les semences, en sélectionnant et nettoyant les grains, puis en les enrobant de fongicides et d'insecticides, à la demande des vendeurs comme la Coop Fédérée. «C'est eux qui contrôlent les commandes», dit M. Montour.

L'empoisonnement des abeilles l'inquiète, mais il croit qu'il existe des solutions techniques. «Les compagnies ont ajouté des polymères et on utilise les produits sous forme liquide pour faire l'enrobage, dit-il. Mais il y a aussi un travail à faire avec les producteurs agricoles sur l'utilisation des différents types de machinerie. Il y a des filtres qui peuvent se mettre sur les semoirs. Bien employées, il ne devrait pas y avoir de problèmes avec les semences enrobées.»

Il ne croit pas que l'usage de néonicotinoïdes va reculer ici, au contraire. «À l'heure actuelle l'utilisation est grandissante, dit-il. La pression sur la rentabilité des fermes est telle que les producteurs sont intéressés à aller chercher un rendement supérieur.»

L'industrie rejette la toxicité de ses produits

CropLife Canafa, l'association industrielle qui représente les fabricants et distributeurs de pesticides et de semences condamne le moratoire européen et assure que ses produits peuvent être utilisés de façon sécuritaire.

«On a 20 millions d'acres de canola dans l'Ouest canadien et la santé des abeilles là-bas est robuste, affirme Pierre Tetelle, de CropLife Canada. Et le canola est beaucoup plus attirant pour les abeilles que le maïs.»

«Sur la question de la poussière, il y a eu des épisodes surtout l'été dernier en Ontario, dit-il. On a eu des conditions exceptionnelles en mars. Les produits sont utilisés depuis 10 ans sur le maïs en Ontario et au Québec et c'est la première fois que ça arrive. On travaille sur des solutions pour s'assurer que l'enrobage reste sur les semences et pour réduire la poussière.»

M. Tetelle est confiant que l'ARLA va renouveler l'homologation des néonicotinoïdes. «La réévaluation est un processus de routine, dit-il. La science va démontrer que ces produits peuvent être utilisés sans danger pour les abeilles et l'environnement.»

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Un danger pour l'humain ?

Les néonicotinoïdes ont été développés pour remplacer les pesticides plus toxiques, les organophosphorés. On doit leur succès au fait qu'apparemment, ils ont peu d'impacts sur la faune et sur l'humain.

Mais est-il temps de revoir cette notion ?

Jean-Pierre Chapleau, de la Fédération des apiculteurs du Québec, le croit. Il cite des études récentes qui démontrent la persistance des néonicotinoïdes dans l'environnement.

Une recherche néerlandaise publiée le 1er mai établit un lien entre les traces d'imidacloprid dans l'eau et le déclin de plusieurs espèces d'invertébrés aquatiques, ce qui nuit aux écosystèmes d'eau douce.

« Il faut prendre conscience que ces pesticides étant systémiques, ils se retrouvent maintenant à l'intérieur même des aliments plutôt qu'accidentellement sur la pelure extérieure, dit M. Chapleau. Il n'est donc plus possible d'éviter la consommation en lavant ou en pelant les aliments. Ce changement majeur semble être complètement passé inaperçu aux yeux des consommateurs. »