L'étude de Pierre Fortin et Michel Bédard, Onze propositions pour un meilleur régime d'assurance-emploi, publiée le 23 juillet, établit un certain nombre de constats qui sont justes et que nous partageons depuis fort longtemps : le programme d'assurance-emploi est devenu de moins en moins généreux et de plus en plus discriminatoire et confus ; les règles d'admissibilité ont été considérablement resserrées. Il y a nécessité d'une refonte globale.

Nous partageons avec eux plusieurs de leurs propositions : établir un critère unique d'admissibilité fondé sur les semaines de travail plutôt que sur les heures, permettre aux travailleurs et aux travailleuses à temps partiel d'avoir accès aux prestations, réduire le délai de carence, mettre en place une caisse autonome, augmenter le maximum assurable, etc.

Il devient par contre troublant de constater que plusieurs des principales recommandations mises de l'avant par les chercheurs auraient pour effet d'empirer les conditions actuelles.

Ainsi, l'établissement d'un critère universel d'admissibilité fixé à 20 semaines signifierait que 80 % de la population active qui travaille à plein temps (semaine de 35 heures et plus) devrait cumuler autant, sinon plus, de temps de travail pour se qualifier que sous le régime actuel ! En réglant le problème d'admissibilité pour les travailleurs à temps partiel, puisque chaque semaine serait recevable avec un minimum de 15 heures, on créerait en contrepartie de plus graves problèmes pour la majorité qui travaille à temps plein, ce qui inclut les saisonniers.

Actuellement, pour l'essentiel, c'est une norme variable qui établit l'admissibilité, entre 420 et 700 heures (soit de 12 à 20 semaines de 35 heures), et c'est le taux de chômage régional qui fixe la barre. Au Québec, par exemple, sur les 12 régions administratives, une est à 420 heures (12 semaines), trois à 700 heures (20 semaines), pendant que les autres se situent entre 560 et 665 heures (entre 16 et 19 semaines). À Montréal, c'est 595 heures (17 semaines). Visa le blanc, tua le noir ?

De plus, proposer une période de prestations « un pour un » (une semaine de travail = une semaine de prestations) sans préciser une bonification concrète pour les régions à plus fort taux de chômage aurait des conséquences très graves pour les gens et sur l'occupation du territoire.

Les chercheurs justifient leurs choix : le régime actuel est trop généreux pour les régions à haut taux de chômage et cela a pour effet de décourager la mobilité de la main-d'oeuvre. Les « poches de chômage régional élevé ont tendance à se perpétuer ». On « encourage certains travailleurs des régions où le taux de chômage est élevé à travailler pendant seulement une partie de l'année ». Le régime doit aider les travailleurs qui perdent leur emploi de façon involontaire et imprévue et « il n'y a rien d'imprévu dans le rythme des saisons de la pêche ».

Voilà où le bât blesse : prétendre à des améliorations tout en fondant une partie de l'argumentation sur des préjugés à l'égard des régions, à l'égard des travailleurs de l'industrie saisonnière, plaçant la faute sur les gens plutôt que sur les réalités d'emploi ; dénoncer la discrimination du régime d'assurance-emploi en pointant les plus mal pris comme étant les grands bénéficiaires.

Au Canada, 32 % des prestataires d'assurance-emploi (422 420 demandes en prestations régulières) sont des saisonniers ; au Québec c'est 38 % (160 890). Les proportions sont encore plus élevées dans les provinces de l'Atlantique : 62 % des saisonniers canadiens sont d'ailleurs dans l'Est du Canada. Faut-il rappeler qu'au Canada, il y a un emploi disponible pour 6,3 chômeurs ? Au Québec, c'est un emploi pour 8,6 chômeurs.

Rien ne sera jamais réglé non plus sans la mise en place d'une véritable politique de création d'emplois en régions.

Pierre Fortin déclarait ne « pas s'attendre à soulever un mouvement d'enthousiasme avec ses idées, que la droite sera contre, que la gauche sera contre, et que ce sera en fin de compte la preuve qu'il ne s'est pas trompé tant que ça ». Les réalités sont plus complexes. L'assurance-emploi aussi.