La récente sortie de Stephen Harper aux côtés du premier ministre saskatchewannais pour annoncer la tenue d'un moratoire sur l'avenir du Sénat a remis cette institution au coeur des discussions politiques en vue du scrutin du 19 octobre.

La volte-face du premier ministre Harper a de quoi surprendre, lui qui a longtemps plaidé pour un Sénat élu, allant même jusqu'à mener, en vain, sa cause devant la Cour suprême en avril 2014. Cette position, qui aurait pu redorer le côté démocrate du premier ministre, posait toutefois un grave problème politique puisqu'elle soutenait la création d'une seconde chambre législative élue par la population.

L'opposition entre les Communes et cette nouvelle institution de révision, parlant elle aussi « au nom du peuple », aurait tôt fait d'entraîner des affrontements interminables sur différents enjeux. Un tel choc de légitimité entre les deux chambres pourrait pousser le pays vers de graves impasses législatives, comme le « shutdown » gouvernemental aux États-Unis en octobre 2013. Bien que le processus doive sérieusement être modifié, la nomination des sénateurs semble inévitable de par le rôle étroit qu'ils jouent vis-à-vis de nos parlementaires.

Les conservateurs semblent désormais se ranger, comme le NPD, davantage du côté de l'abolition. L'institution, entachée par les scandales, n'a plus son utilité aux yeux des deux formations politiques. Du point de vue stratégique, on peut comprendre la position des deux partis. Pour M. Harper, brandir le poing contre le Sénat va peut-être aider sa crédibilité devant les Mike Duffy de ce monde.

Chez les néo-démocrates, la disparition d'une chambre dans laquelle ils ne comptent aucun allié ne peut qu'être synonyme d'avantage politique. Du côté des libéraux, on refuse de soutenir cette position, entrevoyant les longs débats constitutionnels engendrés par cette potentielle abolition. M. Trudeau s'est d'ailleurs fait dramatique en clamant sa peur de « revivre un autre Lac Meech ».

TOUJOURS PERTINENT

Pourtant, le Sénat a certainement démontré sa pertinence dans l'histoire récente. On n'a qu'à penser au projet de loi omnibus C-10 qui, bâclé par les conservateurs, a malgré tout dû passer par de nombreuses révisions à la demande du Sénat. À l'été 2013, le projet de loi C-377 a mis le financement des syndicats dans la ligne de mire des conservateurs. Sans un renvoi calculé par le Sénat, personne n'aurait entendu parler de cette loi controversée, l'opposition n'ayant pas soulevé cet enjeu dans les médias. Il est ainsi ironique que tout ce débat survienne au moment où l'on compte, à Ottawa, un des gouvernements majoritaires les plus autoritaires de notre histoire, ainsi qu'une opposition officielle des moins expérimentées. Le besoin d'un frein institutionnel se fait sentir plus que jamais.

Car il est bien là, le rôle du Sénat : imposer un point de révision et de contrôle au gouvernement fédéral.

Il s'agit d'une institution essentielle, une institution qui devrait, pour l'ensemble de la fédération, retrouver son esprit de représentation et de sagesse sur nos élus.

Les Canadiens ont besoin d'une Chambre haute qui saura représenter, dans la révision des lois, les intérêts de tous les Canadiens.

Cela passe par une juste représentation de chaque province, des populations autochtones, des différentes minorités et des différents secteurs d'activité. Des modèles concrets de nomination existent également pour éliminer une fois pour toutes la partisanerie dans cette institution, comme celui de listes de candidats soumises par les provinces, ou encore de critères d'éligibilité stricts.

Le Sénat, particulièrement dans ce nouveau format, continuera ainsi de nous servir comme il nous a grandement servi par le passé.