J'ai appris avec la plus grande tristesse la mort par balle de Steve Dery, policier du Kativik Regional Police Force (KRPF). Un policier «du Nord», comme on les appelle. Un policier du Nunavik, la terre des Inuits.

J'ai pleuré. Pleuré pour la famille. Pleuré en imaginant le désespoir et la tristesse solidaire que doivent vivre tous les policiers du KRPF. Ces policiers qui vivent dans un environnement hostile. Ces policiers qui doivent tous les jours intervenir avec courage dans une nation qui n'est pas la leur, chez des individus qui ne parlent pas leur langue.

J'ai aussi pleuré devant la rage de ce tueur, retrouvé mort après son crime. Apparemment suicidé. Probablement avec la même arme que celle ayant servi à abattre Dery. Un geste de désespoir. Peut-être de rage. Peut-être d'un peu de tout.

Chaque jour de leur vie, les policiers du KRPF sont confrontés à des gestes de désespoir, des gestes d'individus qui mettent leur sécurité et celles des leurs en péril. Les policiers du KRPF empêchent des hommes ivres de battre leur conjointe, ils se ruent en catastrophe vers des hommes qui se promènent carabine à la main en plein village, souvent ivres, pointant en toute direction alors que plusieurs passants sont à portée de tir... Ils «éteignent des feux», souvent au péril de leur propre vie. Sans eux, combien de femmes seraient défigurées par leur conjoint? Combien de gens tués par balle?

Le problème, c'est que les 87 policiers du KRPF sont blancs, parfois noirs, peut-être d'une autre couleur, mais presque jamais des Inuits (au 1er mai 2012, ils étaient 4 sur 87). Mais ça doit être pour le bien des Inuits, direz-vous? Eux qui ne peuvent faire ce travail. EUX qui n'ont pas l'éducation pour occuper ces postes. EUX qui ne comprennent pas comment ça marche protéger les leurs! ON doit les aider.

Peut-on reprocher à un peuple en entier de ne pas comprendre le gros bon sens? À un peuple en entier de ne pas être capable d'assurer la sécurité des siens? C'est tellement énorme comme affirmation que je ne comprends même pas qu'on puisse l'appliquer ainsi au quotidien.

Les Inuits du Nunavik sont un peuple soumis à la violence et au contrôle d'un autre peuple. Notre peuple. Leur langue, celle dans laquelle ils aiment, ils rêvent, est une sous-langue. Elle ne sert à rien. ON ne les éduquera quand même pas dans celle-ci. Leur histoire est une sous-histoire. ON leur apprendra, mais en rapport à la nôtre.

Leur visage, ON ne le voit pas. ON voit ce qu'ON en a compris et c'est ainsi qu'ON le représente. On voit le Grand Nord, la beauté de ses paysages. On voit des chasseurs, vivant dans des igloos. On voit des alcooliques. On voit le désespoir. C'est ainsi qu'on LES voit. On voit tout ce qu'on veut, mais on ne voit pas les individus. Les différences et les forces inuites sont vues comme des déficiences, des étrangetés.

Comment voulez-vous que, devant tout ce mépris de ses moeurs et de sa culture «objectivement» expliquée et démontrée par la nation qui le domine, l'Inuit ne finisse pas par s'autodénigrer? Une fois que vous vous autodénigrez, comment voulez-vous ne pas sombrer dans l'abnégation de vous-même, dans l'illusion de légèreté apportée par la drogue ou l'alcool? Comment ne pas tomber dans la rage?

L'Inuit, comme n'importe qui, a envie de ce monde de blanc, de ces privilèges. Il veut la place du blanc. Mais elle lui est inaccessible. Interdite. Sa rage le pousse même à s'en prendre aux siens!

Je vois des policiers courageux mais excédés, en danger, victimes de plus en plus d'agressivité des populations locales et, conséquemment, de plus en plus accusés eux-mêmes de glisser dans la brutalité policière. Je vois des populations locales soumises à une oppression illégitime qui ne peuvent que se révolter et s'autodétruire de plus en plus.

La mort tragique de Steve Dery est la conséquence directe de ce statu quo, de ce «c'est pas grave», de ce «je-m'en-foutisme». Les policiers du KRPF en paient aujourd'hui un prix trop élevé. Et j'ai peur pour la suite.