De Colombine (1999, Colorado) à Newtown (Connecticut) aujourd'hui en passant, entre autres, par Virginia Tech (2007, Blacksburg, Virginie) et Red Lake (2005 Minnesota): les school shootings appartiennent à une série bien singulière.

Ils donnent en effet l'image de tueries aveugles suffisamment espacées dans le temps pour qu'on ne puisse chercher à les comprendre en établissant des données statistiques et des corrélations. Et suffisamment importantes et inscrites dans la vie collective pour qu'on se tourne vers les sciences sociales et qu'on leur demande leur éclairage. Un éclairage qu'elles peinent en réalité à proposer.

Ceux qui s'efforcent de les comprendre oscillent le plus souvent entre deux types d'explications. Les unes relèvent de la sociologie et s'efforcent de trouver les sources sociales des massacres à l'école. On souligne alors le fait qu'il s'agit de jeunes, de sexe presque toujours masculin, qui ont connu une scolarité difficile, où ils ont éventuellement subi eux-mêmes des violences, de la discrimination, du rejet, peut-être aussi une expérience familiale ou affective systématiquement malheureuse. L'analyse dérive alors éventuellement vers la critique du système scolaire américain, même si d'autres cas, plus rares encore, sont signalés ailleurs qu'aux États-Unis.

On incrimine souvent aussi la facilité avec laquelle, dans ce pays, on se procure des armes, ce qui peut conduire à relancer le débat récurrent sur le Deuxième amendement de la Constitution et sur la puissance du lobby qui veille au droit à la détention d'armes à feu, la National Rifle Association. On signale également l'importance d'internet et des réseaux sociaux, de type Facebook ou YouTube. Les tueurs trouvent dans ces réseaux des «fans» qui s'identifient à leurs crimes, les légitiment au point d'en faire parfois des héros, ce qui susciterait, supposent certains chercheurs, de nouvelles vocations. De plus, ils s'y expriment, s'y donnent à voir, par exemple en posant avec leurs armes devant une caméra vidéo. Et dans certains cas, ils y trouvent même la possibilité de s'expliquer post mortem en postant des images et des textes pour montrer leurs raisons d'agir. Toutes ces explications tournent trop vite au «sociologisme», et ne nous disent rien du passage à l'acte: les jeunes qui ont de bonnes raisons de détester l'école, ou pour qui les réseaux sociaux permettent d'entrer dans des communautés virtuelles qui débattront de school shootings se comptent en grand nombre, alors que les tueurs à l'école se comptent sur les doigts des deux mains.

Du coup, l'explication est aussi recherchée ailleurs, du côté d'une psychologie qui s'efforce de décrire et de comprendre la personnalité singulière des meurtriers. Avec le risque, symétrique, de basculer dans le «psychologisme», et la médicalisation, de dissocier cette personnalité des conditions sociales, culturelles, médiatiques qui l'ont façonnée, et finalement de la réduire à des images relevant de la psychiatrie: le tueur est alors un fou, un malade mental, un monstre, un schizophrène, un autiste, etc.

Dans le cas de Newtown, le meurtrier s'en est pris en tout premier lieu à sa mère, ce qui peut renforcer ce type d'explication. Mais l'approche psychologique n'est pas entièrement satisfaisante, car les actes ont un sens qui la déborde.

Comment s'opère le passage à l'acte, dans le school shooting, comme dans des meurtres qui s'y apparentent, mais sont explicitement politiques - Mohamed Merah, en France, tuant (mars 2012) trois soldats, puis trois enfants et un enseignant juifs au nom de l'islam, Anders Behring Breivik causant près de 80 morts en Norvège (juillet 2011) au nom d'une idéologie nationaliste violemment antiislam?

Si l'on veut conjuguer, et non pas opposer la prise en compte des conditions sociales, politiques, culturelles de la tuerie, et l'examen de la personnalité des assassins, il faut atteindre ce noyau dur, qui résiste le plus à la compréhension, où conditions générales et personnalité sont en quelque sorte convoquées par un individu qui décide de devenir acteur de la mort d'autrui, et de lui-même. Les documents dont on dispose suggèrent qu'il s'agit généralement d'un processus, et non d'une décision soudaine, au cours duquel le futur tueur délibère avec lui-même durant une longue période, se prépare matériellement, ce qui suggère qu'un certain isolement constitue pour le passage à l'acte un élément décisif. Au bout du compte, le passage à l'acte semble devoir beaucoup à l'individualisme contemporain, qui encourage chacun à tenter de se constituer en acteur de sa propre vie, et qui pousse certains de ceux qui échouent à choisir d'autres chemins que ceux que notre société trouve normaux ou acceptables.

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