Comment une cause, une revendication, une protestation parviennent-elles à monopoliser l'attention du public pendant un jour... ou un an? Pourquoi certains contestataires, mais pas d'autres, réussissent-ils à faire manger les grands médias dans leurs mains? Comment certains manifestants s'y prennent-ils pour se faire écouter (c'est-à-dire: obéir) par les autorités publiques?

C'est en partie un mystère.

Des manifestations ont eu lieu, jeudi, dans cinq villes du Québec, dont Montréal, pour protester contre la réforme de l'aide sociale proposée par Québec.

La cause n'a mobilisé que quelques centaines de personnes. Le public a accueilli le mouvement dans la plus totale indifférence. Les médias n'ont accordé que peu d'attention à l'affaire - pas de cinq colonnes à la une, pas de chroniques néoguévariennes, pas de clavardage en direct, pas d'hélico de TVA. Et la ministre responsable du dossier, Agnès Maltais, n'a visiblement aucune intention d'écouter la rue.

Le même jour, ont également eu lieu des manifestations contre la réforme de l'assurance-emploi. Depuis la mi-février, il y en a eu des dizaines au Québec (et ailleurs au Canada). Or, la cause ne lève pas beaucoup plus que celle de l'aide sociale, même si fustiger Stephen Harper est plus facile et mieux vu que d'accabler le gouvernement Marois. Et même si la vedette du monde de la construction, Bernard Gauthier, dit Rambo, a fait son possible pour brasser la cage en promettant que «ça va faire mal en crisse» si le gouvernement conservateur n'écoute pas!

Pourquoi le sort des assistés sociaux, les gens les plus démunis de la société, et celui des chômeurs, qui ne se situent pas loin derrière dans le palmarès de l'exclusion, n'ont-ils pas ému, mobilisé et intimidé davantage? Peut-être la sympathie du public, l'attention des médias, la capacité d'écoute (c'est-à-dire: de soumission) des élus sont-elles des ressources non renouvelables.

Or, depuis plus d'un an, celles-ci ont été investies dans une seule entreprise: celle de la fronde étudiante.

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Il y a la fatigue, en effet.

Tant de bonnes causes à appuyer. Tant de victimes à défendre. C'est un peu comme pour les scandales à répétition: à la longue, on y devient insensible.

La rébellion étudiante elle-même n'en finit plus de finir. Forte d'une victoire au chapitre des frais de scolarité (lire: l'accès à l'éducation, la noble cause ayant déclenché le printemps érable), elle s'étire maintenant sur d'autres fronts. Moins porteurs, moins spectaculaires, moins poétiques. Par exemple, la bataille engagée contre les règlements municipaux sur l'itinéraire des manifestations et le port du masque n'inspire pas de chansons. Pas plus que les récriminations contre la police, sorte de reniement symbolique de l'autorité parentale, un rite de passage qui remonte à la nuit des temps.

En toutes choses, la capacité d'indignation semble épuisée. On a trop crié au loup. Dommage.