La publication du rapport du Vérificateur général sur les dépenses des sénateurs a relancé le débat sur la pertinence de la Chambre haute. Le chef de l'opposition officielle, Thomas Mulcair, a réitéré que si son parti forme le prochain gouvernement, il cherchera à abolir la Chambre haute. Le Bloc québécois est lui aussi pour l'abolition.

Par sa simplicité apparente, cette « solution » plaira aux nombreux Canadiens qui en ont marre de cette institution. Pourtant, on ne supprime pas une organisation pour la seule raison que certains de ses membres ont mal agi. Si c'était le cas, la Chambre des communes britannique aurait fermé ses portes il y a six ans, lorsque a été mis au jour un scandale sur les dépenses des députés d'une ampleur bien plus grande que ce dont il est question ici.

Quoi qu'on pense du Sénat d'aujourd'hui, il faut garder à l'esprit que l'architecture constitutionnelle de la fédération repose notamment sur l'existence de deux chambres, dont la seconde a pour mandat de freiner les abus éventuels de la majorité parlementaire et de faire entendre à Ottawa la voix des régions et des minorités. Sa disparition pourrait avoir des effets nocifs sur les délicats équilibres qui ont permis la réussite du projet canadien.

Pour cette raison, la Cour suprême a statué l'an dernier que le gouvernement fédéral ne pourrait pas abolir la Chambre haute sans l'accord de toutes les provinces. Or, encore cette semaine, les premiers ministres de Québec et de l'Ontario ont fait savoir qu'ils s'opposent à la disparition du Sénat. Abolir le Sénat serait aussi compliqué que le réformer.

Pourquoi tuer le malade si on peut le guérir ?

Les conservateurs ayant échoué à réformer le Sénat en ignorant les provinces, ils n'ont rien d'autre à proposer. « La population ne veut pas de grandes réunions constitutionnelles », tranche Stephen Harper. Les libéraux promettent « un processus de nomination des sénateurs impartial, transparent et ouvert, et ce, sans revoir la Constitution » puisque, comme M. Harper, Justin Trudeau est convaincu que les Canadiens « ne veulent pas ouvrir la Constitution ».

Bien sûr, les Canadiens ont gardé un très mauvais souvenir de l'époque de Meech et de Charlottetown. Cependant, il faudra qu'ils s'en remettent un jour, si l'on veut que la Constitution du pays évolue, ce qui est essentiel, en particulier pour une fédération. Il est du devoir des politiciens fédéraux d'entretenir une pédagogie et des discussions constantes au sujet de la Constitution canadienne. Les négociations constitutionnelles ont beau être ardues et déchirantes, elles sont parfois extraordinairement fécondes. Sans elles, la Charte canadienne des droits et libertés n'existerait pas.

Les Canadiens ont bien d'autres priorités, c'est vrai. Mais pendant combien de temps, par peur du mot commençant par C, laissera-t-on ce Sénat dépassé gonfler le désabusement populaire ?