Approuvez-vous la décision du gouvernement Marois de faire des compressions dans l'aide sociale qui touchent particulièrement les prestataires de 55 à 58 ans et les parents de jeunes enfants? Son attitude s'apparente-t-elle à celle du gouvernement Harper dans sa réforme de l'assurance-emploi?

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



L'EFFET BOOMERANG



Je suis d'accord avec les mesures adoptées par le gouvernement québécois pour les prestataires d'aide sociale aptes au travail. Le problème à l'origine du mauvais accueil des mesures proposées par la ministre de la Solidarité découle de la conjoncture défavorable. Cette annonce arrive à un très mauvais moment, surtout après les compressions du fédéral dans le programme d'assurance-emploi. Mme Maltais perd maintenant toute crédibilité en critiquant les coupes fédérales, puisqu'elle utilise la même recette, pour les mêmes raisons, soit les contraintes budgétaires et les abus de certains prestataires. En communication, on appelle cela « l'effet boomerang ». Le contexte a fait en sorte que le message de la ministre ne passe pas, même s'il s'agit de bonnes mesures, mais malheureusement prises dans un mauvais contexte. L'aide sociale est une mesure temporaire de dernier recours, c'est pourquoi les mesures de retour au travail sont à prioriser, car elles servent à briser l'isolement de personnes démunies. Pour réussir, l'accompagnement ne doit pas seulement être monétaire, il doit aussi être sociétal. Mme Maltais devrait créer un « effet miroir » et se poser certaines questions fondamentales avant d'adopter des mesures coercitives. Pourquoi les grands employeurs et les syndicats ne s'entendent-ils pas pour offrir un certain nombre de postes de travail journalier à des assistés sociaux peu qualifiés?  Pourquoi acceptons-nous encore des milliers de jeunes assistés sociaux avec des diplômes universitaires? Pourquoi le gouvernement du Québec ne crée-t-il pas un service civil afin de combler les milliers de postes disponibles?

Photo

Jean Baillargeon

Francine Laplante

Femme d'affaires



COUPEZ AILLEURS !



Cette décision du gouvernement Marois est difficile à suivre, à comprendre et surtout à accepter. Je n'arrive pas à croire qu'un gouvernement n'a pas d'autre endroit à couper avant de s'attaquer à cette classe de société! On a pourtant mille exemples de gras dans lequel on pourrait couper : les grandes rencontres inutiles de réflexion, les voyages de déplacement plus que douteux des fonctionnaires et ministres, les comités sur des enjeux créés de toute pièce, les indemnités de départ trop généreuses, les paradis fiscaux... Le nerf de la guerre ne se trouve pas dans l'aide sociale et ce n'est pas là que nous allons faire les économies substantielles qui permettraient de rétablir les finances publiques. Je trouve indécent de s'en prendre encore une fois aux plus vulnérables comme ces personnes de 55 à 58 ans qui ont généralement trimé dur toute leur vie et qui ne voudraient pas avoir à attendre un chèque de dernier recours pour subvenir à leurs besoins. Et les familles avec de jeunes enfants qui doivent vivre avec une moyenne de 750 $ par mois! Est-ce que nos ministres ont une idée de ce que cela veut dire? Quand on a des enfants à nourrir et à éduquer, ce n'est pas vivre, mais uniquement survivre! Nous voulons une société éduquée, des jeunes allumés, des aînés heureux, autonomes et moins malades, et pourtant nous nous attaquons directement à ces classes vulnérables pour générer tout au plus des économies de bouts de chandelle comparativement à bien d'autres mesures qui pourraient être mises en place. On peut bien reprocher ce que l'on veut au gouvernement Harper, mais il n'a pas essayé de nous passer sa réforme de l'assurance-emploi en catimini un vendredi après-midi. Plus que jamais, je remets en doute la capacité de notre gouvernement de réaliser à quel point il y a des gens vulnérables et dans le besoin, alors que les banques alimentaires ne fournissent pas à la demande, les enfants ne mangent pas à leur faim, les organismes communautaires sont débordés... Lorsqu'on n'a aucun souci à payer son loyer et son épicerie comme Mme la première ministre et Mme la ministre, peut-être qu'on ne peut pas comprendre à quel point ça fait mal d'avoir le ventre vide et le coeur dépourvu d'espoir de s'en sortir.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



OÙ SONT LES EMPLOIS ?



Le gouvernement péquiste a houspillé le gouvernement fédéral pour le manque « d'études d'impact » concernant les modifications brutales à l'assurance-emploi. Presque simultanément, comme pour ne pas être en reste, le gouvernement du Québec sort du son chapeau des changements au régime d'aide sociale, sans études d'impact, très discrètement, pour ne pas dire en catimini.  Les buts des compressions : diminuer les dépenses, encourager l'emploi, contrer la dépendance envers l'État. Comme si de telles mesures devaient créer automatiquement des emplois! Où se trouvent-ils, ces emplois?  Où sont les études d'impact? À quel point est-il vrai que beaucoup de prestataires de l'assurance emploi et de l'aide sociale ne cherchent pas l'emploi puisque l'État pourvoit à leurs besoins? Bien entendu, les travailleurs qui se lèvent le matin, bravent les intempéries, subissent les aléas de la circulation et des humeurs de leurs supérieurs se demandent à juste titre pourquoi ils paieraient pour des paresseux. Bien sûr, il est important de traquer la fraude et l'indolence, mais pourquoi faire porter l'odieux à certains groupes de prestataires? Il y a gros à parier que selon sa coutume maintenant bien rodée, le gouvernement péquiste reculera. La question fondamentale de l'employabilité des prestataires d'aide sociale restera sans réponse.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



LES ARISTOCRATES DE LA SOLIDARITÉ



Rationaliser les dépenses publiques en incitant les bénéficiaires de l'aide sociale à intégrer le marché du travail n'a rien de déraisonnable. Toutefois, au Québec, toutes les solutions concrètes et réalistes à un problème public sont assimilées à un assaut contre le sacro-saint modèle québécois. Tout ce qui n'est pas synonyme de compassion universelle, d'amour ou d'altruisme, n'est que de vulgaires considérations matérialistes mues par une idéologie néolibérale. De toute évidence, les seules réformes acceptables par les aristocrates québécois de la solidarité sont celles qui alourdissent le fardeau fiscal des citoyens ou celles qui favorisent une hausse de la taxation des riches. Dire que la semaine dernière, la réforme de l'assurance-emploi par le gouvernement Harper était une raison suffisante pour se séparer du Canada. On se sépare de qui, maintenant?

Pierre Simard

Marc Simard

Professeur d'histoire au cégep Garneau à Québec



LES INTOUCHABLES



Un des principes fondamentaux en administration publique veut que les gouvernements soient les fiduciaires des impôts collectés et qu'ils les gèrent au mieux de leurs connaissances et de leurs capacités, au bénéfice de l'ensemble de la collectivité. Certains rétorqueront que ce principe a été mis à mal dans plusieurs administrations, comme nous le révèle la commission Charbonneau, mais cela ne l'invalide pas. Or, il semble que ce principe ne s'applique pas à certaines personnes ou dans certaines parties du territoire, comme l'illustre l'actualité de ces dernières semaines. Selon le discours des opposants aux réformes de l'assurance-emploi et de l'aide sociale, les chômeurs, les assistés sociaux et certaines régions bénéficieraient à vie et en dépit des contraintes financières et des changements économiques et sociaux de droits et de privilèges intangibles. Malgré la crise des finances publiques et l'évolution du marché de l'emploi, modifier ces lois dans tout autre sens que pour les «bonifier» serait un sacrilège. Les gens en général travaillent désormais plus longtemps, mais appliquer cette règle aux assistés sociaux de 55 à 58 ans serait une profanation. Obliger les bénéficiaires de l'assurance-emploi à ne plus considérer celle-ci comme un complément automatique à leur travail saisonnier un outrage. Tout gouvernement qui ne respecte pas ce dogme s'expose à la hargne et à la vindicte des manifestants enrôlés et véhiculés par les permanents syndicaux et les travailleurs sociaux qui défendent ainsi leur satrapie.

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial



PLUS SOURNOIS



Agnès Maltais, flanquée du ministre délégué du Tourisme Pascal Bérubé, est allée à Ottawa critiquer les compressions sauvages aux plus démunis de l'assurance-emploi décrétées par le gouvernement conservateur. Alors qu'elle s'offusquait devant les médias avec son confrère péquiste, elle a oublié, volontairement ou involontairement, qu'elle avait la même médecine dans ses cartons pour certaines personnes touchées par l'aide sociale au Québec. Elle a fait cela le plus sérieusement du monde, et son confrère député de Matane, n'a pas bronché d'un pouce. Ce gouvernement minoritaire nous avait promis de faire autrement que tous les autres gouvernements précédents. À le regarder aller depuis septembre 2012, non seulement il ne fait pas autrement, il fait comme les autres et, de plus, il procède de façon plus sournoise. L'annonce de la ministre Maltais a été faite pendant que les parlementaires de Québec étaient en relâche, pensant ainsi ne pas créer trop de remous, ne pas inquiéter les gens concernés et surtout ne pas susciter les questions de l'Opposition. Il est fort à parier que lors de la prochaine période de questions, la ministre sera sur la sellette. Elle devra essayer d'expliquer pourquoi elle condamne ce qui se passe dans le parlement canadien, alors qu'elle s'apprête à appliquer la même médecine dans son propre parlement. Le gouvernement a tout donné aux étudiants. Clientèle captive oblige. Il se doit de trouver l'argent que les étudiants ne veulent pas donner spontanément et faire ainsi leur juste part. Ce sont encore les plus mal pris qui devront payer.

Nestor Turcotte

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



MAUVAISE CIBLE



Le gouvernement aurait dû annoncer ces compressions, et non pas tenter de les passer en catimini. En agissant de la sorte, Agnès Maltais n'a plus aucune crédibilité lorsqu'elle tente de défendre notre point de vue concernant la réforme de l'assurance-emploi du gouvernement Harper. En visant principalement les personnes de 55 à 58 ans et les parents de jeunes enfants, Mme Maltais se trompe de cible. Elle devrait plutôt tenter d'identifier et encourager le retour sur le marché du travail des jeunes prestataires vivant seuls en santé, aptes au travail qui retirent des prestations sans raisons apparentes et justifiées. Mme Maltais devrait demander à ses subalternes ayant rédigé cette réforme de la reformuler afin qu'elle soit adaptée à la réalité et au fait que l'aide sociale est devenue pour certains une tradition familiale qui se transmet de père en fils.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



HARPER PLUS CAVALIER



Bien que l'assurance-emploi et l'aide sociale visent le même but, c'est-à-dire d'éviter la grande pauvreté, ces deux programmes diffèrent par leur mode de financement. Les bénéficiaires de l'assurance-emploi cotisent obligatoirement au programme ; ils retirent donc des prestations d'un fonds auquel ils ont contribué. L'aide sociale est, quant à elle, financée grâce aux impôts de ceux qui en paient. C'est donc dire que les assistés sociaux ne contribuent pas au fonds dont ils bénéficient. L'attitude de M. Harper est en conséquence beaucoup plus cavalière que celle de Marois puisque c'est plus difficilement justifiable de couper les vivres à ceux qui ont contribué à une assurance que de le faire à ceux qui attendent l'aide des autres sans fournir quoi que ce soit au système dont ils profitent. En ce qui a trait aux compressions proprement dites, je crois que le fait de laisser les bénéficiaires de l'aide sociale disposer à leur guise de l'entièreté de la somme qu'on leur verse ne plaide pas en leur faveur. En effet, dans l'opinion publique, on entend beaucoup parler du fait que certains assistés sociaux se paient des luxes qui n'ont rien à voir avec des biens de première nécessité. Dans un tel contexte, je comprends les honnêtes travailleurs d'être d'accord avec ces nouvelles coupures : ils n'en peuvent plus de voir des assistés sociaux vivre plus aisément que ceux qui travaillent au salaire minimum, et cela en restant chez eux à attendre que le chèque arrive.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



CONTRAINTE BUDGÉTAIRE ET CHOIX DIFFICILES



Compte tenu de la contrainte budgétaire qu'ils se sont imposée, les gouvernements Harper et Marois doivent faire des coupes budgétaires. Cet exercice est toujours difficile. Il faut définir des priorités et tenter de couper où cela fait le moins mal. Les deux gouvernements tentent également de prendre des mesures pour réduire à plus long terme l'impact du vieillissement de la population en augmentant la disponibilité des travailleurs pour les emplois. Dans ces deux dossiers (aide sociale et assurance-emploi), les deux gouvernements prennent des mesures similaires, à savoir un resserrement des conditions d'éligibilité. Les messages des deux gouvernements, conçus par leurs spécialistes en communication, sont également très similaires : «On coupe dans les transferts que vous recevez pour que vous ayez plus de revenus dans le futur.» Une autre similarité est le fait que les deux gouvernements n'ont pas rendu public des études d'impact des mesures prises. La différence entre ces deux gouvernements vient surtout des raisons qui les ont poussés à s'imposer une contrainte budgétaire. Pour le gouvernement Marois, ces raisons semblent reliées à la faible croissance  économique et au désir d'avoir une bonne crédibilité dans les marchés financiers. Pour le gouvernement Harper,  ces raisons seraient davantage reliées à un choix de réduire la taille du gouvernement. On a donné beaucoup de réductions de taxes et impôts, remplaçant ainsi un surplus structurel par un déficit structurel. Le besoin de retourner à l'équilibre budgétaire n'est qu'une conséquence de cette stratégie.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital



DEUX COMBATS DIFFÉRENTS



Les prestataires d'assurance-emploi ont toujours été tenus d'effectuer une recherche d'emploi raisonnable et d'accepter toute offre d'emploi convenable. La réforme proposée par le gouvernement fédéral vise à faire prendre conscience aux prestataires fréquents de leurs responsabilités quant à la recherche et à l'acceptation d'un emploi. Ainsi, à compter de la septième semaine de sa période de prestations, le prestataire fréquent (qui a été au chômage plus de 15 mois au cours des 5 dernières années) doit élargir sa recherche d'emploi pour inclure tout travail pour lequel il est qualifié et dont le salaire correspond à au moins 70% de son salaire antérieur. La réforme de M. Harper n'a pas pour but d'appauvrir le prestataire. Contrairement au mythe entretenu par ceux qui refusent de protéger les intérêts du travailleurs cotisant au régime d'assurance-emploi, le prestataire doit être en meilleure situation financière en acceptant l'emploi plutôt qu'en recevant des prestations régulières d'assurance-emploi - sinon il n'est pas obligé d'accepter l'emploi.  La réforme de l'aide sociale de Mme Marois, elle, a pour but de bêtement réduire les dépenses publiques de 20 millions $, supposément en attendant que la ministre Maltais n'annonce de nouveaux programmes.  Deux combats bien différents.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Étienne Boudou-Laforce

Candidat à la maîtrise en service social à l'Université de Sherbrooke



DÉPLORABLE



La décision du gouvernement Marois de faire des compressions dans l'aide sociale attriste profondément. Prétendre vouloir combattre les inégalités sociales qui prévalent dans la société, mais s'attaquer aux citoyens en situation de pauvreté et au tissu social est des plus incohérents et déplorables. Tous s'entendent pour dire qu'il est souhaitable d'avoir plus de travailleurs actifs et moins d'assistés sociaux, mais ce n'est pas en coupant l'aide aux plus démunis qu'on permettra à ces derniers de trouver plus rapidement le chemin du marché du travail. Quelle vision simpliste. Une infime partie de ces derniers pourront - un temps - bénéficier de l'allocation supplémentaire prévue par le gouvernement visant la réinsertion professionnelle. Les autres ne verront que leur chèque d'aide sociale réduit drastiquement. Par contre, les frais en loyer, électricité, nourriture et vêtement, eux, demeureront. La ministre Maltais devrait essayer l'exercice de vivre un seul mois avec 604 $ dans ses poches afin de constater à quoi sont confrontés les personnes touchant l'aide social. Mme Maltais souhaite briser le «cycle de la pauvreté, très bien, mais pourquoi n'avoir pas tenté de s'attaquer à l'analphabétisme

grandissant et au peu d'accès au logement adéquat et accessible ? Couper dans l'aide sociale est simplement nuisible.