Organisations sportives corrompues à la moelle et dirigées par des aristocrates décadents... candidatures olympiques dominées par des dictatures... stades déserts financés par les fonds publics, au Brésil comme en Grèce comme aux États-Unis...

Ce n'est pas le sport qui est malade de l'argent, c'est nous qui sommes complètement cinglés.

Faut aimer le sport comme des malades pour laisser faire tout ça, non?

L'été dernier, la justice allemande a tout simplement abandonné les accusations de corruption déposées contre Bernie Ecclestone en échange d'un «versement» de... 100 millions de dollars. Oui, cent millions.

Quelle joie de voir ensuite le même homme venir pomper pour sa compagnie près de 200 millions en fonds publics pour les 10 prochaines années afin de présenter son Grand Prix à Montréal. Oui, oui, c'est formidable pour le tourisme. Mais tout compte fait, tant qu'à se faire fourrer, je prendrais bien le «deal» allemand...

Beaucoup plus comique: le congrès de la FIFA qui s'est achevé hier avec la réélection de Sepp Blatter à la tête du soccer mondial.

Le mercredi, neuf dirigeants de l'organisation sont arrêtés pour corruption à la demande de procureurs américains. Pas grave, le vendredi, on réélit le même patron de 79 ans! Cinquième mandat!

Vive la démocratie sportive.

On se demande ce qui poussera le bonhomme dehors. Peut-être une crise cardiaque, comme ces ouvriers népalais sur les chantiers du Mondial 2022 au Qatar, qui crèvent après avoir travaillé à 50 degrés.

Les défenseurs du grand calife du soccer nous disent qu'il n'est pas «personnellement» corrompu. Tout ce qu'il veut, c'est le pouvoir. Ah oui? S'il pouvait toucher un salaire évalué à 30 millions en 2011, et qui a apparemment doublé depuis, n'est-ce pas parce qu'il a laissé faire tous les sales trafics? Pas besoin de pots-de-vin à ce salaire-là, remarquez bien. C'est en soi une assurance corruption.

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Jusqu'à quand les démocraties vont-elles coopérer à des organisations sportives pourries à la moelle comme la FIFA? Quelle ironie, tout de même, de voir que le ménage se fera par les États-Unis...

Le 18 mai, à Doha, capitale du Qatar, un journaliste de la BBC et son équipe sont en train de filmer un chantier de construction en vue des Mondiaux de soccer de 2022.

Huit voitures de police arrivent et embarquent tout le monde. Violation de la propriété privée, leur dit-on. Ils passent deux nuits en prison et sont relâchés.

Le Qatar n'aime pas trop qu'on aille farfouiller sans permission sur les chantiers. Le journaliste ne voulait pas se contenter du «tour des médias» organisé... par une firme de relations publiques anglaise - comme quoi, l'argent est redistribué.

Ce qu'on y voit? Les conditions de misère dans lesquelles vivent les 1,5 million de travailleurs étrangers qui préparent les neuf superbes stades qui accueilleront les héros du soccer mondial en 2022.

Dans ce pays où le revenu moyen par habitant est le troisième au monde, ces ouvriers sont entassés dans des cabanes et payés 60$ par semaine, parfois plus, parfois bien moins. Ils peuvent bien se plaindre. Seul problème: ils doivent avoir la permission de leur employeur pour obtenir un visa de sortie du pays.

Ils meurent au rythme de 400 par année au moins, selon les évaluations des organisations de travailleurs. À cela, les autorités répliquent qu'à 1,5 million, ils seraient morts naturellement chez eux aussi. C'est curieux, ils meurent plus au mois d'août, quand la chaleur est la pire. Le Monde, le Guardian et d'autres médias ont documenté des violations systématiques des droits de ces semi-esclaves venus de l'Inde, du Népal, du Bangladesh.

La construction des sites olympiques à Sotchi ressemblait à ça. Cette fois, les travailleurs venaient d'Ouzbékistan ou d'autres anciennes républiques soviétiques.

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Qui aura les moyens d'acheter les grands événements sportifs? Déjà, la Formule 1 s'est dirigée vers des régimes plus ou moins dictatoriaux. C'est la même tendance qui s'observe pour le soccer et les Jeux olympiques. Prochaines destinations du Mondial: Russie et Qatar. De moins en moins de villes veulent se porter candidates olympiques. En lice pour les Jeux d'hiver de 2022, après le retrait de la Suède et de la Norvège: Almaty, au Kazakhstan, et Pékin.

La théorie des retombées est maintenant officiellement morte. Les Jeux olympiques depuis longtemps provoquent une baisse du tourisme et leurs coûts en fonds publics dépassent largement tous les bénéfices de «prestige» et de publicité. Avec ou sans corruption.

Et quand les Jeux auront lieu ailleurs, aux frais de régimes plus ou moins indéfendables, on enverra quand même nos athlètes gagner des médailles là-bas?

J'ai couvert trois Jeux olympiques, et avec fascination. Je ne suis pas «contre». Mais la dérive devient indéfendable. Un moment donné, le laisser-faire est une complicité.

Pas besoin d'embrasser Vladimir Poutine. Continuer à participer sans rien dénoncer, c'est accréditer un système corrompu, c'est même en faire partie.

Le Canada a voté contre Sepp Blatter? C'est bien, du moins.

Mais ensuite?