Mercredi soir, dans les minutes qui ont suivi l'annonce de la démission du caucus conservateur du député Brent Rathgeber, le directeur des communications de Stephen Harper, Andrew MacDougall, a réagi sur Twitter: «Les électeurs d'Edmonton-Saint-Albert ont élu un député conservateur. M. Rathgeber devrait abandonner son siège et se représenter dans une élection partielle.»

Le prédécesseur de M. MacDougall, Dimitri Soudas, qui occupe maintenant le poste de directeur exécutif des communications au Comité olympique canadien, en a rajouté lui aussi sur Twitter: «Brent Rathgeber, votre décision était probablement prise depuis le 2 mai 2011 [jour des élections]. C'était évident dans votre attitude. Présentez-vous dans une partielle.»

Ce qui est ironique, dans cette réaction épidermique de la garde rapprochée de M. Harper, c'est qu'elle tend à donner raison à Brent Rathgeber, qui justifie son départ du caucus conservateur par le manque de liberté des députés soumis à l'autorité du Bureau du premier ministre (BPM).

M. Rathgeber n'est pas le premier député conservateur à se plaindre de la concentration de pouvoir entre les mains de non-élus au BPM, une situation que dénonçaient aussi haut et fort les conservateurs sous l'ère Chrétien.

M. Rathgeber, membre de l'aile conservatrice réformiste, est toutefois le premier à claquer la porte, ce qui ajoute aux problèmes déjà nombreux de Stephen Harper. Une première fissure dans la forteresse.

Visiblement, la crise du Sénat aura servi de déclencheur, libérant pour la première fois les frustrations accumulées par les députés d'arrière-ban.

Mais est-ce bien surprenant? En fait, ce qui est surprenant, c'est que le vent de révolte ne se soit pas levé plus tôt et qu'à ce jour, Brent Rathgeber est le seul à avoir quitté le navire.

En reculant de quelques années, on se rend compte que M. Harper a été élu sous fausse représentation, à l'aide d'une publicité trompeuse. En 2005-2006, profitant du scandale des commandites, M. Harper a martelé qu'il ferait le ménage à Ottawa, qu'il assainirait les moeurs politiques, et qu'il ramènerait la transparence et l'intégrité au sein du gouvernement.

Vrai, son gouvernement a rapidement voté des resserrements au financement des partis politiques, mais pour le reste, Stephen Harper a volontairement mis de côté les principales recommandations du rapport Gomery visant à diminuer les pouvoirs quasi illimités du BPM.

Pourtant, le chef conservateur se disait d'accord avec le constat du juge Gomery. Il convenait qu'il fallait rendre l'exécutif plus transparent et redonner le pouvoir aux élus.

Une fois au pouvoir, Stephen Harper a prestement mis de côté la grande majorité de ses recommandations et il a, dans les faits, accru les pouvoirs du BPM. Il a aussi limité constamment l'accès des médias et a soumis son caucus à une discipline de fer.

Une des premières décisions de Stephen Harper avait été d'adopter le modèle américain du «porte-parole», soit un attaché de presse autorisé à parler en son nom aux médias. Au Canada, ce sont normalement les élus, dont le premier ministre, qui répondent aux questions des journalistes.

Par la suite, M. Harper a décrété que son personnel politique ne témoignerait plus devant les comités du Parlement, une autre première calquée sur l'Administration Bush.

Enfin, la mainmise du BPM s'est répandue dans tout l'appareil de l'État, forçant les ministres et leurs ministères à faire approuver par le «centre» leurs communiqués, en muselant les fonctionnaires et en limitant encore davantage l'accès des médias aux services des communications.

Dès les premiers jours du gouvernement Harper, d'autres accrocs à la transparence et même à la décence ont sérieusement irrité l'aile réformiste du Parti conservateur.

Le cas le plus frappant a sans doute été la nomination au conseil des ministres, en 2006, de David Emerson, qui venait pourtant tout juste d'être élu comme député... libéral. Précisément le genre de choses contre lesquelles se battaient les réformistes depuis des années.

L'entrée au cabinet, la même année, de Michael Fortier, à la suite d'une nomination au Sénat, avait aussi déplu aux conservateurs purs et durs.

Par ailleurs, l'utilisation systématique du Sénat comme refuge politique pour les candidats conservateurs battus (surtout au Québec) heurte de plein fouet, et depuis des années, les principes de députés, en particulier de l'Ouest, qui ont milité toute leur vie contre les retours d'ascenseurs et pour une réforme du Sénat.

Et la cerise sur le gâteau: des manigances secrètes au plus haut lieu au BPM pour tenter de sauver un sénateur soupçonné de fraude.

Non, à bien y penser, ce n'est pas la démission du député Rathgeber qui est surprenante, c'est plutôt qu'il soit le seul à ce jour à avoir eu le courage de ses convictions.

La petite caisse

Tous les chefs de parti, au pouvoir ou dans l'opposition, ont (et doivent avoir) trois types de dépenses pour leur bureau: personnelles, assumées par le chef lui-même ou son entourage; publiques, couvertes par les contribuables, et partisanes, payées par le parti.

Normalement, pour la troisième catégorie, on ne parle pas d'un «fonds secret» administré par le chef de cabinet (surtout pas d'un million de dollars), mais plutôt de factures remboursées par le parti, tout simplement.

(Au fait, j'ai entendu vendredi plusieurs commentateurs dire que le premier ministre doit payer son billet d'avion pour aller au congrès de son parti. Faux. Le premier ministre est en poste 7/24, partout où il se trouve. Il voyage toujours dans un avion du gouvernement, sous la protection de la GRC et avec une partie de son personnel, comme un BPM mobile. Simples questions de sécurité et de logistique.)

Dans le cas du «fonds secret» au bureau de Stephen Harper, on a l'impression que le chef de cabinet avait un coffre-fort rempli d'argent dans son bureau! Comme on sait, en plus, que Nigel Wright a donné 90 000 $ au sénateur Duffy, évidemment, un doute surgit.