La critique que l'on a le plus entendue à l'issue du Sommet sur l'enseignement supérieur c'est que l'on n'y a pratiquement pas parlé d'éducation ni supérieure ni tout court.

Soyez heureux, cette chronique parlera d'éducation, de la mienne d'abord mais avec le projet de faire le lien avec la vôtre, surtout avec celle dont vous rêvez pour vos enfants.

J'ai grandi dans une maison sans livres, sauf deux ou trois sur les animaux que lisait et relisait mon père. J'ai fréquenté l'école républicaine française où des instituteurs qui portaient de longues blouses grises nous donnaient de vigoureuses gifles qui laissaient longtemps la marque de leurs doigts sur nos joues.

Mais en fait, mon éducation tient surtout à deux événements fortuits qui m'ont marqué pour la vie. Très tôt, le matin, ma mère faisait le ménage à la bibliothèque de la SNCF de notre petite ville, je devais avoir 10 ans quand qu'elle a décidé que je l'accompagnerais pour l'aider à cirer les planchers, pour le reste j'étais libre de faire ce que je voulais et que voulezvous que je fisse dans une bibliothèque ? Je lisais.

Le deuxième événement est survenu à la fin du primaire, après trois mois dans un centre d'apprentissage où je m'étais inscrit en mécanique automobile. On me fit valoir que j'étais nul en mécanique. Tu lis beaucoup, t'es bon en français, pourquoi n'essaies-tu pas plutôt la typographie ? J'ai adoré la typographie, je l'ai dit souvent ici.

J'avais 17 ans, c'était lundi ou jeudi, il pleuvait sur Paris ou c'était la canicule, vous n'auriez pas trouvé jeune homme plus heureux dans cet autobus bondé qui le conduisait à Bobigny où il allait composer toute la journée, en minuscules lettres de plomb, des horaires de chemin de fer.

Normalement, s'il n'y avait pas eu tous ces changements technologiques, je serais aujourd'hui un heureux pensionné des métiers de l'imprimerie, pour le reste je sera is le même vieux monsieur, lecteur boulimique et cycliste impénitent, mais je reviens sur heureux, plus heureux que le suis maintenant ? Possiblement.

Plus serein, sûrement. Mais je ne chipoterai pas : j'ai eu cette double chance incroyable dans la vie, impensable aujourd'hui , d'exercer un métier qui me passionnait, de le voir disparaître en quelques années et d'en trouver aussitôt un autre que j'aime presque autant.

Ai-je précisé que je ne suis jamais allé à l'université ? On vous entend venir avec vos gros sabots, monsieur le chroniqueur. Vous parlez d'un autre temps .

Vous savez bien qu'il vous faudrait aujourd'hui passer par l'université pour devenir journaliste...

Qui vous parle de journalisme ? Qu'avez-vous tous à vouloir être journal istes ? Avocats ? Médecins ? Architectes ? Les coiffeuses puent de la gueule ou quoi ? Et plombier ? Et maçon? Et flic ? Et réceptionniste ? Et garçon de café ? Et glacier? Et chauffeur d'autobus ? Et femme de ménage? Et agriculteur? C'est pas bien?

Je suis tanné de vous entendre parler d'accessibilité comme si l'université était le passage obligé vers... la respectabilité.

Accessibilité mon cul , je suis partisan du contraire, exactement le contraire : de la porte étroite. Il devrait être aussi difficile d'entrer à l'université en art, en histoire, en littérature qu'en médecine ou en architecture. Combien j 'en connais . . . petit talent en dessin, zéro sens critique, zéro goût, zéro partout, navrantes erreurs d'aiguillage, on leur donnera quand même leur bac en art, ce qu'ils en feront est une autre histoire...

Ma fille est en psychologie à McGill...

Pis ! Votre fils en plomberie vous n'en parlez pas ? Votre autre fille en technique policière ? Votre petit voisin qui vend des chars sur le boulevard Taschereau?

Un sommet sur l'éducation devrait avoir pour première préoccupation l'éducation des coiffeuses. Le premier projet d'éducation d'un pays, 10 fois plus prioritaire que tous les autres, devrait être de donner à celui-là en plomberie, à celle-là en technique policière, à celui-là ouvrier agricole, une éducation qui les prépare à entrer dans la vie, et très très accessoirement à l'université. Leur donner des outils, un langage qui leur permettra d'être plus que des veaux, je veux dire plus que des consommateurs, que des gobeurs d'information, que des pitonneurs de twits. Leur donner la curiosité. Leur donner envie de résister.

On s'interrogera (et on s'engueulera) sur les moyens, sur les méthodes, sur les compétences transversales après. On parlera réforme après. Commençons par nous entendre sur cela : l'éducation vise à former des citoyens pas trop tatas et non pas à envoyer le plus de tatas possible à l'université.

J'AI UN DOUTE - J'ai déjà dit que j'étais un fan de À la semaine prochaine, la très drôle émission de Philippe Laguë et de sa gang à la radio de Radio-Canada le samedi. De leur galerie de personnages le poète Jean-Paul Daoust est un de mes préférés comme il l'est sans doute pour une major ité d'auditeurs. La caricature est [criante de ressemblance] me disait l'autre jour un de mes amis qui n'a pourtant aucune idée de à qui ou à quoi peut bien ressembler Jean-Paul Daoust.

Juste pour vous dire, dans la vie Jean-Paul est beaucoup plus drôle que sa caricature, plus délirant aussi. Ce n'est pas un ami mais c'est un poète que je pratique depuis les années 90, depuis 111, Wooster Street et jusqu'à Taxi pour Babylone et j'ai tout d'un coup un doute : de qui ou de quoi rit-on ici ? De Jean- Paul Daoust le poète un peu fofolle ? Si c'est ça, c'est pas bien grave i l est capable d'en prendre (ou de faire semblant).

Mais pourquoi ai-je l'impression que c'est surtout de la poésie qu'on rit?