«Vote!», disait l'extracourte manchette du Conway Daily Sun - qui n'est plus «daily», soit dit en passant. L'éditorial, qui occupait toute la première page, avait pour titre: «Save America».

Hein! Vous allez sauver l'Amérique? La dame du dépanneur Patch's, où je venais d'acheter le journal, s'est contentée de rire.

Obama ou Romney?

Je ne sais pas qui va gagner, mais ce ne sont pas les Américains, a-t-elle esquivé.

Quelques portes plus loin, au resto Glenn Station, la serveuse qui est venue prendre ma commande n'était pas, elle non plus, encline à parler d'élections. Vous allez sauver l'Amérique, mademoiselle? Je montrais la une du journal.

J'aurais aussi bien pu lui demander si elle irait promener son chien. Je vous apporte un jus d'orange? a-t-elle coupé court.

Bon, ben puisque personne ne veut me parler, je vais parler tout seul en lisant ce foutu journal. Avec un titre comme «Save America», je m'attendais à du Romney du haut en bas. Vraiment pas! Ça commence comme ça: «On a le choix entre un candidat qui a dit et fait n'importe quoi durant toute la campagne pour devenir président et un président qui a fait tout ce qu'il était humainement possible de faire durant la pire période qu'a traversée notre pays depuis la Grande Dépression (des années 30).»

Furieusement démocrate le Conway Sun? Il se définit deux paragraphes plus loin comme modéré et plutôt aligné sur les valeurs «old style» républicaines, et il ajoute: «Ce n'est pas nous qui ne sommes plus républicains, c'est le parti républicain qui a été détourné par les ultraconservateurs et les extrémistes du Tea Party.»

Dieu que cela fait plaisir à lire! Mais en même temps, je ne crois pas à la réélection d'Obama aujourd'hui. Je crois que ce journal, remarquable de lucidité, est tout seul dans son coin. Je crois que, chez les Américains modérément conservateurs qui vont ultimement décider de l'élection d'aujourd'hui, le sentiment n'est pas qu'Obama a fait ce qu'il a pu, le sentiment est qu'il s'est planté. L'heure est au désenchantement.

Si je me trompe - je le souhaite, évidemment -, les premiers mots de ma prochaine chronique seront joyeux: lalalèreu, je me suis trompé! Et si Obama est battu, je ne serai pas catastrophé plus que ça. Pas plus que lorsque Bush a volé la présidentielle en 2000, et pas plus que lorsqu'il a été réélu en 2004. Pas plus que durant toutes les années 80, alors que les Américains avaient élu et adoré le pire président de leur histoire, Ronald Reagan.

L'autre jour, j'entrais aux États-Unis. Juste avant de monter la petite pente qui mène à la guérite du douanier, je mets pied à terre pour saluer un cycliste qui, lui, rentrait au Canada. On parlait depuis une minute, le douanier américain sort de sa guérite et commence à m'engueuler: tu veux entrer aux États-Unis ou tu veux pas? Si tu veux pas, tu t'enlèves du chemin. L'autre cycliste était outré: les Américains! Mais non, juste un tôton.

Cette fois-ci, la douanière était une jeune femme de bonne humeur. Les questions habituelles: ah oui, le New Hampshire. Pour les élections? Wonderful! Ben là, exagère pas. J'ai coupé par le col déjà enneigé de Hazen's Notch, une abrupte route de terre qui suit le lit d'un torrent. Dans l'éclaircie du sommet, sur la rambarde du pont qui se trouve là, un aigle à tête blanche - on dit un pygargue -, comme celui qui figure sur le sceau du président, montait la garde.

Il s'est envolé à regret et lourdement quand je suis descendu pour pisser: où tu vas, Obama? Un petit tour et puis reviendra. Enfin, pas lui: Hillary.

On l'a écrit mille fois pour cette élection: l'Amérique a perdu son chemin, a perdu son rêve. Ceux qui travaillent fort et selon les règles ne sont plus récompensés, et leurs enfants n'ont pas un meilleur avenir.

Et pourtant.

«Save America» ? Elle se sauvera elle-même, comme d'habitude. Son rêve est peut-être envolé, mais le mythe d'un pays qui se réveille chaque matin au commencement du monde est toujours bien vivant.

MATCH NUL - Et si c'était un match nul, 269 à 269 ? Mais si, c'est possible. D'autres, notamment la revue Time, l'ont envisagé.

Mais le vrai bordel, la guerre civile aux États-Unis ou presque, c'est pas un match nul, ce serait des résultats très serrés dans quelques grands États: la Floride, l'Ohio, la Caroline du Nord, la Virginie.

Rappelez-vous l'imbroglio floridien de 2000, Bush qui l'emporte par 500 voix en Floride - 500 voix qui ont littéralement changé la face du monde. Rappelez-vous, la Cour suprême des États-Unis avait annulé le dépouillement judiciaire ordonné par la cour moins suprême de Floride. Imaginez, demain, les républicains perdants l'Ohio par 500 voix! Entendez-vous les Wayne Lapierre, Rush Limbaugh, Karl Rove hurler au complot?

Mais si ça reste quand même un match nul? Alors, le 6 janvier, c'est la Chambre des représentants qui choisira le président, et le Sénat choisira le vice-président. Donc ce sera Romney puisqu'il est assuré que la Chambre des représentants sera républicaine.

NOIR SUR NOIR - Si Obama est battu, on dira beaucoup qu'il a été battu par un vote raciste. Cela signifierait qu'il y aurait plus de racistes ce matin aux États-Unis que le 4 novembre 2008?

Il ne sera pas battu par un vote raciste, mais peut-être que ceux qui ont voté pour lui en 2008 parce qu'il est noir se sont, depuis, bien habitués à sa couleur. Vous me faites penser: ça fait longtemps que j'ai vu un Noir.

BASKET - À la réception de l'hôtel, derrière le gars qui pitonnait mon inscription, il y avait des ballons de basket dans un filet comme si je m'inscrivais dans un gymnase. En blague, je lui demande si c'est pour les clients.

C'était pour les clients. Tu parles que j'en voulais un. Je suis à l'Attitash, à Bartlett. Un truc de ski immense éparpillé dans le bois, chambre, salon, petite cuisine, 75$, mais c'est la basse saison. Le panneau de basket est dans une clairière. Il neigeotait un petit flocon de temps en temps quand j'ai commencé à jouer. Le filet, un peu raide, ne faisait pas floutche même fouetté par le ballon. De toute façon, je l'aurais pas entendu, j'écoutais Marlene Dietrich en allemand dans mon iPod, Vor der Kaserne...

C'est le truc qui m'impressionnait le plus d'Obama: il a été le premier «point guard» à devenir président des États-Unis.