Lundi soir, au Centre Bell. Choisi première étoile du match, David Desharnais saute sur la patinoire et salue la foule avec entrain. Un sourire illumine son visage. Il vient de donner la victoire au Canadien en prolongation, son troisième but gagnant de la saison. Pas mal pour un joueur rétrogradé au troisième trio dès l'ouverture du camp d'entraînement!

Peu après, les journalistes l'entourent dans le vestiaire. Desharnais répond aux questions avec aplomb. Il souligne le travail de ses ailiers, Tomas Fleischmann et Dale Weise, et explique sobrement combien il est heureux de contribuer aux succès de l'équipe. Cet exercice terminé, je me retrouve seul avec lui.

«Dis donc, David, comment se sent-on lorsqu'on est interviewé au milieu de la patinoire, devant des milliers de fans euphoriques, après avoir été choisi l'étoile de la rencontre?»

Desharnais marque une courte pause. Peut-être songe-t-il à son improbable parcours, celui d'un joueur jamais repêché, qui a bûché dans les circuits mineurs et qu'on disait trop petit pour évoluer dans la cour des grands.

«Je n'aime pas faire l'entrevue devant tout le monde. Mais en même temps, tu y prends goût un peu! C'est un feeling incroyable. Avec un pas de recul, quand tu te dis qu'il s'agit du Canadien de Montréal, c'est cool en tabarouette... J'essaie de savourer le moment. C'est tellement l'fun d'aider à faire la différence.»

On connaît la résilience de Desharnais. Il a dû surmonter des embûches sur sa route. Il a composé avec les doutes à son sujet. On a même entendu un maire passionné de hockey réclamer son renvoi à Hamilton! Mais il n'a jamais plié.

Depuis longtemps, Desharnais a compris qu'il devrait toujours se battre pour conserver sa place au soleil. «Mais peut-être que ça me prend ça pour performer, reconnaît-il. J'étais dans l'East Coast League, la Ligue américaine, alors j'essaie juste de savourer mon séjour avec le Canadien. Je travaille fort et je me dis que je serai récompensé.»

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Ses plus beaux succès dans la LNH, Desharnais les a connus aux côtés de Max Pacioretty. Mais voilà qu'en septembre, il a appris qu'il ne ferait plus la paire avec son complice. De nouveaux compagnons de trio lui ont été affectés.

Le premier, Dale Weise, n'a jamais marqué plus de 10 buts en une saison dans la LNH; le second, Tomas Fleischmann, n'était même pas sûr de décrocher un poste, signant son contrat peu avant le lancement de la saison.

Résultat, Weise connaît un départ canon avec huit buts en 19 matchs. Et Fleischman surpasse les attentes. Lui aussi a inscrit trois buts gagnants. À n'en pas douter, Desharnais a le don de faire produire les joueurs autour de lui.

Lorsque je lui rappelle ses beaux moments avec Pacioretty, avec qui il a récolté de si nombreux points, il enchaîne: «C'est vrai, mais d'un autre côté, je n'ai pas toujours joué avec Max. Dale et Tomas m'aident aussi beaucoup. C'est bon pour l'équipe d'avoir trois ou quatre trios capables de marquer. C'est ainsi que j'ai vu le changement: apporter plus d'attaque sur une troisième ligne.»

Dans le passé, les changements de trio indisposaient un peu Desharnais, un gars compétitif. Une décision de cet ordre touche souvent l'ego. Mais aujourd'hui, à l'âge de 29 ans, il a vite tourné la page.

«J'étais prêt à ça, dit-il. Alex [Galchenyuk] a été choisi dans le top 3 du repêchage, il représente l'avenir. Et on ne déplace pas un gars comme Pleky [Plekanec]. Alors j'essaie d'aider au maximum. Et avec cette attitude, jusqu'à maintenant, ça marche!»

Parce qu'il évolue dans l'ombre des grandes vedettes de l'équipe, on oublie parfois à quel point Desharnais est un joueur doué et attachant. Réussir à briller dans la LNH est un défi pour un gars de sa taille, confronté à des défenseurs format géant.

«Si je jouais au basket, avec les paniers placés si haut et le ballon dans les airs, ça poserait problème! Mais au hockey, la rondelle est sur la glace... De toute manière, depuis que je suis jeune, j'affronte des gros! Alors ce n'est pas comme si c'était nouveau. Et je ne suis ni le premier ni le dernier! J'essaie juste de jouer avec ma tête plus qu'avec mon corps.»

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À peine croyable: cette saison, Desharnais est le seul joueur québécois du Canadien dont la langue maternelle est le français. Le numéro 51 en est parfaitement conscient. Il ne cache pas sa fierté de représenter ce pôle si important dans l'histoire de l'équipe. «J'essaie juste de faire de mon mieux et d'avoir le CH tatoué sur le coeur», dit-il simplement.

Heureusement, l'organisation l'a bien traité. En mars 2013, il a signé une entente de quatre ans au salaire annuel de 3,5 millions US. Plus facile de jouer au hockey lorsqu'on a l'esprit libre. «C'est bien de ne pas penser au contrat pendant tout ce temps, admet-il. La direction m'a fait confiance et j'essaie de lui remettre ça.»

En cet extraordinaire début de saison, il y a de très belles histoires chez le Canadien. Mais dans mon esprit, aucune n'est plus magique que la façon dont David Desharnais s'est adapté à son nouveau rôle, tirant ses compagnons de trio vers le haut.

Après le match de lundi, j'ai demandé à Michel Therrien d'analyser le rendement de Desharnais. L'entraîneur du Canadien a lancé: «David, c'est un guerrier!»

Bien dit, coach.