Marcel Aubut excelle dans ce genre de truc: une célébration grandiose, des invités prestigieux, un volet populaire, des activités conjuguant le sport et la musique, un grand dîner réunissant des centaines d'invités, de la couleur et de l'animation...

À l'époque où il était président des Nordiques, Aubut a organisé Rendez-vous '87, un événement extraordinaire proposant deux matchs entre les étoiles de la LNH et l'équipe nationale d'URSS, le tout agrémenté de concerts et de conférences. Six ans plus tard, il a orchestré le plus étonnant repêchage de l'histoire de la LNH, Invitation '93, marqué d'une marche dans les rues de Québec où 30 000 personnes ont souligné le centenaire de la Coupe Stanley!

Cette fois, c'est à Montréal qu'Aubut propose sa nouvelle initiative: la Journée Excellence olympique Canada. Jeudi prochain, Thomas Bach, le président du Comité international olympique (CIO), prononcera une allocution devant 2000 personnes réunies au Palais des congrès. Mark Lazarus, président de NBC Sports, s'adressera aussi aux convives. Les soeurs Dufour-Lapointe, Maxime, Chloé et Justine, ainsi que Jean-Luc Brassard et Alexandre Despatie contribueront à l'animation.

Ce dîner-causerie, qui générera une somme importante au profit des athlètes, servira de prélude à l'inauguration officielle, en soirée, de la Maison olympique canadienne, au coin du boulevard René-Lévesque et de la côte du Beaver Hall.

Les cinq gigantesques anneaux olympiques récemment installés au sommet de l'édifice, ainsi qu'un monument rappelant le nom de tous les médaillés canadiens de l'histoire, seront illuminés durant un spectacle public auquel des artistes (Gregory Charles, Alex Nevsky...) et des acrobates du Cirque du Soleil prendront part.

Tout comme Thomas Bach, six athlètes s'étant distingués lors des trois Jeux olympiques présentés au Canada joueront un rôle particulier durant la cérémonie: la gymnaste Nadia Comaneci et le sauteur en hauteur Greg Joy (Montréal 1976); les patineuses artistiques Elizabeth Manley et Katarina Witt (Calgary 1988); le skieur de bosses Alexandre Bilodeau et la patineuse artistique Joannie Rochette (Vancouver 2010).

Quoi, tout ça pour inaugurer de nouveaux locaux? Cette conclusion ne rend pas justice à l'affaire. Au bout du compte, c'est le rôle de Montréal et la place du français au sein du mouvement olympique canadien qui sortiront gagnants de l'opération. Voilà pourquoi cette journée représente un tournant dans l'administration du sport au pays.

Pour bien comprendre, il faut remonter au printemps 2009, lors de l'élection d'Aubut à la présidence du Comité olympique canadien (COC).

***

Le COC a été fondé au début du XXe siècle. Jusqu'à l'arrivée d'Aubut aux commandes, jamais un francophone n'avait occupé ce poste en plus de 100 ans! Non, le principe d'alternance n'est pas une valeur forte de l'organisme, comme il le dit lui-même.

Le nouveau président comprend vite que le rôle de Montréal - et celui du Québec tout entier - est insuffisant au sein du COC.

«J'ai trouvé anormal que le comité olympique ne soit pas mieux réparti dans la réalité culturelle de notre pays, explique-t-il. À Montréal, nous n'avions que quelques employés travaillant dans un bureau sans fenêtre au sous-sol du Stade olympique. On parle ici de la province dotée du meilleur programme de sport au Canada et qui développe des athlètes exceptionnels, gagnants de plusieurs médailles aux Jeux olympiques.»

Pour corriger la situation, Aubut réorganise le COC en créant deux bureaux dotés de responsabilités précises: l'un à Toronto pour le volet affaires (commandites, partenariats) et l'autre à Montréal pour la gestion du sport. Les employés chapeautant ce dossier fondamental, jusque-là installés à Ottawa, sont invités à déménager au Québec.

Pour loger tout ce monde, il faut d'abord trouver un endroit approprié. Dans l'esprit d'Aubut, ces bureaux doivent être au centre-ville, au coeur du quartier des affaires, afin de réhausser le rayonnement du COC.

Jean Charest, alors premier ministre du Québec, fournit un coup de main en cédant des bureaux inoccupés, loués par le gouvernement provincial, à un étage supérieur dans l'immeuble du 500, boulevard René-Lévesque Ouest. En tant qu'ancien ministre fédéral du sport, il saisit l'aspect symbolique du projet.

Au fil des mois, en préparant l'installation, Aubut rencontre le propriétaire de l'édifice, George Gantcheff, qui a fait fortune dans l'immobilier. Croyant au rôle des athlètes olympiques comme modèles inspirants pour les jeunes, celui-ci propose à Aubut d'occuper plutôt le rez-de-chaussée et le deuxième étage, libres avec le départ du locataire précédent. Cela, croit-il avec raison, donnera une visibilité exceptionnelle au COC.

Gantcheff règle ensuite la colossale facture liée à l'aménagement des lieux. «Sans lui, tout ce projet ne se serait jamais concrétisé», explique Aubut.

Plus tard, le propriétaire a offert au COC l'utilisation de la dernière partie du rez-de-chaussée, où l'espace de l'expérience olympique est logé. Les visiteurs - on vise beaucoup les jeunes - pourront, grâce à des outils technologiques sophistiqués, découvrir différentes disciplines sportives et mesurer virtuellement leurs performances à celles de grands champions.

«Notre objectif est d'augmenter le bassin de jeunes athlètes, dit Aubut. Une visite leur donnera peut-être le goût de pratiquer une discipline qu'ils connaissent peu.»

Un autre local a été transformé en salle multifonctionnelle dotée d'équipements audiovisuels de dernière génération. Il a été nommé «Salon Lausanne», en l'honneur de la ville suisse où est situé le siège du CIO. Le hall accueille aussi un large écran vidéo, où le succès des olympiens est célébré. Le coup d'oeil est impressionnant.

Le 7 mai dernier, le soutien financier du projet a été annoncé en conférence de presse: les gouvernements du Québec et du Canada contribuent respectivement 3,5 et 3 millions et la Ville de Montréal, 2 millions.

***

Pour faire rayonner le nouveau siège du COC partout à Montréal, Aubut voulait installer les anneaux olympiques en évidence sur le toit de l'édifice. Mais il a constaté que les dirigeants du mouvement olympique étaient réfractaires à autoriser cette utilisation de leur marque.

Pourquoi? Tout simplement parce que les principaux commanditaires du mouvement olympique versent des sommes immenses en contrepartie de leur exploitation commerciale exclusive. Dans ce contexte, pas question de surexposer la marque inutilement. Sous la présidence de Jacques Rogge, Aubut a donc essuyé deux refus polis, mais fermes.

Le départ de Rogge et l'élection de Bach lui ont cependant fourni une ouverture. Le nouveau président du CIO a enclenché un processus de réformes qui a conduit à l'adoption de 40 résolutions regroupées sous l'appellation «Agenda 2020».

Dans ce plan d'action s'intéressant d'abord à des enjeux fondamentaux comme le contrôle du coût des Jeux, leur héritage et la transparence du mouvement olympique, l'article 36 s'est glissé. Son libellé tient en une ligne: «Accroître l'accès à la marque olympique à des fins non commerciales».

Aubut, invité par Bach à faire partie de l'un des nombreux comités chargés de préparer ces résolutions, a évidemment milité pour l'élargissement des règles relatives aux anneaux, une manière simple d'augmenter le retentissement des Olympiques au sein de la population. Et, avec l'accord du nouveau président du CIO, le plan a été approuvé.

Résultat, tous les soirs dès jeudi prochain, les anneaux brilleront dans le ciel de Montréal, symboles du rêve olympique de centaines d'athlètes québécois. On pourra aussi les apercevoir en venant du sud, puisqu'un deuxième jeu d'anneaux, plus petit, est aussi logé à l'autre extrémité de l'édifice.

La date de l'inauguration de la Maison olympique n'a pas été choisie au hasard. Le 9 juillet tombe la veille de l'ouverture des Jeux panaméricains à Toronto. Des dizaines de grandes pointures du sport international feront un saut à Montréal pour l'occasion.

Quant à Bach, il renouera avec la terre de ses exploits. Avec trois compatriotes allemands, il a en effet remporté une médaille d'or au fleuret par équipe aux Jeux de Montréal. La compétition était présentée au Centre sportif de l'Université de Montréal. L'établissement lui remettra d'ailleurs un doctorat honorifique lors de son retour sur le site de compétition, jeudi après-midi.

Tôt le matin, Bach sera reçu à l'Hôtel de Ville de Montréal par le maire Denis Coderre et visitera ensuite l'Agence mondiale antidopage.

***

Marcel Aubut ne le dit pas, mais on devine facilement qu'il accepterait avec plaisir de devenir membre du CIO. Cet honneur couronnerait sa carrière de gestionnaire sportif. Peut-être que la journée de jeudi prochain favorisera sa candidature. Chose certaine, personne ne peut remettre en cause sa passion pour le mouvement olympique.

Mais l'essentiel n'est pas là. Aubut aura d'abord profité de son séjour à la présidence du COC pour augmenter le rôle de Montréal et assurer la place du français au sein de l'organisme.

Lorsqu'on connaît le manque de sensibilité envers la réalité francophone dont a fait preuve le COC au cours des 100 années précédentes, cela est d'autant plus méritoire. Il faut donc souligner la contribution du dynamique avocat, d'autant que ses débuts en poste avaient été marqué de quelques bourdes à cet égard.

Aubut quittera un jour la tête du COC. Mais peu importe l'identité de son successeur, il lui sera très difficile de diminuer le nouveau rôle de Montréal dans la gestion des affaires. Surtout après la bénédiction que Thomas Bach donnera à la nouvelle Maison olympique jeudi.

L'héritage d'Aubut est considérable.