C'est inévitable. Les bagarres seront un jour interdites dans la LNH. La seule question est de savoir combien de temps sera nécessaire avant d'en arriver là: trois ans? Cinq ans? Dix ans?

Peu importe la durée de l'attente, le mouvement en ce sens est engagé. Le fort retentissement de l'affaire George Parros, qui provoque une réaction vigoureuse, ajoute une brique à la construction de l'édifice.

Moins de 24 heures après les événements de mardi au Centre Bell, trois directeurs généraux de la LNH - et non des moindres! - ont rompu avec la ligne du parti. Ils ont manifesté leur désaccord avec le commissaire Gary Bettman, pour qui les combats représentent une «soupape» bienvenue dans un match.

Dans une entrevue accordée au journaliste Darren Dreger de TSN, Jim Rutherford (Caroline), Ray Shero (Pittsburgh) et Steve Yzerman (Tampa Bay) ont souhaité que la LNH revoie sa position.

«On doit se débarrasser des bagarres», a dit Rutherford. Shero a souligné l'importance d'agir en «leader» à ce chapitre. Yzerman a ajouté: «Nous devons décider quel sport on veut. Ou bien tout est permis et nous acceptons les conséquences, ou bien on franchit la prochaine étape et on élimine les batailles.»

En décembre 2011, quelques mois après la mort de Derek Boogaard, un bagarreur ayant succombé à une surdose de médicaments antidouleurs et d'alcool, Bettman avait déclaré ne pas sentir «d'appétit» dans la LNH pour interdire les combats. Avouons qu'il serait aujourd'hui malavisé de répéter ses propos!

Scotty Bowman a souscrit aux déclarations de Rutherford, Shero et Yzerman. Le statu quo ne recueille plus l'assentiment général.

Dans le passé, des équipes comme les Penguins et le Canadien ont tenté d'agir contre la violence au hockey. Rappelez-vous le cri d'alarme de Geoff Molson après l'affaire Chara-Pacioretty: «Notre organisation croit que la sécurité des joueurs de la LNH est sérieusement compromise et que cette situation a atteint un niveau alarmant.»

Sans provoquer de changements majeurs, cette sortie a contribué à modifier le cours de la conversation. Souhaitons que Geoff Molson et Marc Bergevin persistent avec énergie dans cette voie. S'ils le veulent, ils peuvent être des agents de changement, pas simplement des spectateurs.

* * *

La LNH traverse une période de transition semblable à celle vécue par la NFL avant qu'elle reconnaisse l'impact des commotions cérébrales sur la qualité de vie des joueurs actifs et retraités.

Il y a deux ans, en entrevue au New York Times, Bettman remettait en cause les travaux de l'Université de Boston et du docteur Robert Cantu, un spécialiste interviewé par mon collègue Yves Boisvert dans sa chronique d'hier.

«Leur tendance à tirer des conclusions à des stades très préliminaires est bonne pour les manchettes, mais ne fait pas nécessairement avancer la recherche», disait le commissaire qui, à l'image de son circuit, semblait en plein déni.

Les travaux de l'Université de Boston sur les commotions cérébrales font pourtant autorité. Les impacts à long terme des coups au cerveau sont mieux documentés. Et des spécialistes craignent l'influence néfaste de la LNH sur les comportements des jeunes joueurs.

En août dernier, l'Association médicale canadienne a ainsi adopté une résolution condamnant la "complaisance" des propriétaires d'équipe face à la violence, notamment les coups à la tête. Or, au hockey, l'objectif d'un bagarreur est de frapper celle de son rival le plus fort possible.

L'affaire Parros survient au moment où, aux États-Unis, la sortie du livre League of Denial, de Mark Fainaru-Wada et Steve Fainaru, suscite un immense intérêt. Les auteurs expliquent combien les dirigeants de la NFL ont longtemps banalisé les impacts des commotions cérébrales en s'adressant à leurs joueurs et au public.

Des extraits du livre ont été publiés cette semaine. Mardi, l'émission Frontline, du réseau PBS, diffusera un documentaire basé sur cette enquête.

Le football n'est pas le hockey, bien sûr. Mais ce livre rappellera aux ligues professionnelles qu'elles ne peuvent plus ignorer les conséquences des commotions cérébrales.

* * *

Les dinosaures n'ont évidemment pas dit leur dernier mot. Dès la publication des propos du trio Rutherford-Shero-Yzerman, la LNH a expédié un fidèle soldat, Colin Campbell, dans l'espoir d'éteindre l'incendie.

À Toronto, Dave Nonis, le DG des Maple Leafs, a manifesté son désaccord avec l'opinion de ses collègues. D'autres l'imiteront sûrement.

En clair, l'affrontement commence à peine. Il sera long et pénible, comme l'ont historiquement été les débats philosophiques dans la LNH.

Dans les années 70, alors que sa guerre contre l'Association mondiale de hockey entraînait d'immenses pertes financières, la LNH a longtemps refusé de bouger. Des équipes influentes comme les Flyers et les Rangers multipliaient pourtant les efforts dans l'espoir de conclure une paix des braves et mettre fin à cette saignée. Il leur a fallu cinq ans d'efforts pour obtenir victoire.

Dans les années 90, les propriétaires comprenant la nécessité d'un plafond salarial ont eu besoin de 10 ans pour convaincre leurs collègues de mener ce combat jusqu'au bout.

Non, rien ne va très vite dans la LNH. Mais les choses finissent par tomber en place. Les violentes mêlées générales, si fréquentes dans les années 70, n'existent plus. Ce sera aussi le cas des bagarres, une plaie inutile dans un si beau sport. Mais il faudra être patient.

L'édifice sera construit brique par brique.