Dans le sport professionnel, Bernie Ecclestone représente une anomalie. Son autorité sur la Formule 1 est absolue.

Dans les autres ligues, les dirigeants sont mis au défi par les demandes des associations de joueurs. Ils acceptent des compromis pour satisfaire les réseaux de télévision et les autres partenaires commerciaux.

Ecclestone, lui, gouverne en monarque. Son style rappelle celui du commissaire du baseball Kenesaw Mountain Landis dans les années 20, ou celui du président de la LNH Clarence Campbell dans les années 50. Ces deux hommes ont longtemps exercé leur rôle sans véritable contre-pouvoir.

Que ce style autocratique fonctionne encore aujourd'hui est tout simplement ahurissant. Cela en dit long sur les dons remarquables d'Ecclestone. Qu'on l'aime ou non, reconnaissons son extraordinaire capacité à définir lui-même les règles du jeu. Et à les modifier à sa convenance.

Ecclestone était à Montréal, hier, à l'occasion du Grand Prix. La première ministre Pauline Marois l'a salué, lui rappelant son désir de conclure un accord «gagnant-gagnant» garantissant la présentation de la course à Montréal jusqu'en 2024.

Ecclestone négocie depuis son enfance. Le quotidien britannique The Guardian a déjà raconté comment, dès cette époque, il investissait son salaire de livreur de journaux dans l'achat de petits pains, qu'il revendait à profit à ses camarades de classe!

En Formule 1, Ecclestone a toujours obtenu ce qu'il voulait, c'est-à-dire encore plus d'argent. C'est ainsi que la France, un pays doté d'une riche tradition de sport automobile, a perdu son Grand Prix. Et que le Bahrein, un État où des opposants politiques ont été réprimés, a obtenu le sien.

Les deux décisions ne sont pas liées, mais elles rappellent la puissance des intérêts économiques dans le plan d'action de la Formule 1.

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Âgé de 82 ans, très vif intellectuellement, Ecclestone contrôle tout dans son sport, jusqu'à la couleur des sofas du Paddock Club, où les invités de marque sont reçus à chaque course. Il semble en selle pour longtemps, à moins que la justice allemande complique sa vie, comme l'a récemment rappelé mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot.

Un banquier allemand, ancienne relation d'affaires d'Ecclestone, a reçu une peine de huit ans de prison pour corruption, en lien avec la vente de la société contrôlant la Formule 1 à un fonds privé d'investissement en 2005. Selon des médias allemands, des accusations pénales à l'endroit d'Ecclestone seront bientôt dévoilées dans le même dossier.

Cette nouvelle place le gouvernement du Québec dans une position délicate. Bien sûr, le désir d'assurer le maintien de la course à Montréal, avec sa visibilité et ses retombées économiques, est légitime. Pour reprendre l'expression du ministre des Finances Nicolas Marceau, «c'est une évidence que le Grand Prix est très rentable».

En revanche, le gouvernement Marois a aussi fait voter la loi 1, afin de rétablir l'intégrité dans les contrats publics. Au-delà du texte légal, cette législation envoie un signal fort sur la nécessité pour l'État de conclure des ententes avec des gens et des sociétés répondant «aux exigences élevées d'intégrité que le public est en droit d'attendre».

Si le gouvernement du Québec est cosignataire d'une entente avec Ecclestone, l'Autorité des marchés financiers se penchera-t-elle sur le dossier comme le veut la loi 1?

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À l'heure actuelle, Ecclestone reçoit 15 millions d'argent public en retour de la présentation du Grand Prix du Canada: 5 millions chacun du fédéral et de Tourisme Montréal, 4 millions de Québec et 1 million de Montréal.

Le nouvel accord augmenterait cette somme à 15,7 millions en 2015, avec une hausse annuelle de 4% par la suite.

Les installations du circuit Gilles-Villeneuve - garages, salle de presse, petit hôpital - seraient aussi améliorées. Des chiffres de 25 à 45 millions circulent à propos de cette facture.

Pour une période de 10 ans, l'opération frôlerait les 240 millions. C'est beaucoup d'argent. Et nos élus devraient montrer plus de transparence dans cette affaire. Les pourparlers dégagent en effet une désagréable impression d'opacité.

Ainsi, pourquoi l'entente n'est-elle pas conclue alors qu'on en parle depuis un an? Est-ce vrai que le gouvernement fédéral se fait tirer l'oreille? Et si oui, pour quels motifs?

Ce n'est pas tout. Quel est le coût réel des travaux envisagés? Ecclestone fournira-t-il des assurances pour garantir que la Fédération internationale de l'automobile (FIA) placera toujours le Grand Prix du Canada au calendrier de la Formule 1? Quel sera l'impact du Grand Prix envisagé à New York-New Jersey, à compter de l'an prochain, sur celui de Montréal?

Bref, beaucoup de questions demeurent sans réponse. La relation entre Ecclestone et nous, les contribuables, devrait être plus limpide.

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Le Grand Prix 2013 a été un franc succès. Ces trois jours ont fait oublier la grisaille dans laquelle l'épreuve de l'an dernier a été tenue.

Il faut noter l'effort de François Dumontier et de son équipe pour bonifier l'engagement social du Grand Prix. Un partenariat avec Moisson Montréal a permis de récolter des dons, en argent et en denrées, pour aider les gens moins fortunés.

Cette initiative est bienvenue.