Novembre 2011, dans un hôtel de Mississauga, en banlieue de Toronto. Le repas du midi prend fin et les athlètes canadiens, réunis en séance préparatoire en vue des Jeux de Londres, quittent peu à peu la vaste salle de buffet.

En apercevant les yeux pleins d'espoir de ses jeunes camarades, ceux qui vivront bientôt leur première expérience olympique, Alexandre Despatie songe à ses propres débuts, à Sydney, en 2000.

À l'époque, il n'avait que 15 ans. Benjamin de la délégation canadienne, il avait réussi un exploit considérable en terminant quatrième à la tour de 10 mètres. Si le Russe Dimitri Saoutine n'avait pas terminé la compétition en force, Alexandre serait monté sur le podium.

«Dans la zone d'entrevues, les journalistes m'ont demandé si j'étais déçu de rater la médaille de bronze, raconte Despatie. Déçu? Voyons, mon but était simplement de participer à la finale! J'avais rivalisé avec mon idole Saoutine jusqu'au bout. Je vivais quelque chose d'incroyable, j'étais sur un nuage!»

Avec cette réponse venue droit du coeur, Despatie a modifié en un tournemain la trame narrative des reportages qui déferleraient bientôt dans les médias. Après avoir contrôlé sa performance sur le tremplin, voilà qu'il répétait le truc devant les micros. Pas mal pour un adolescent...

L'anecdote en dit long sur la personnalité de Despatie, qui a annoncé sa retraite hier. Il a mené sa carrière avec enthousiasme et sans jamais se laisser dicter une ligne de conduite.

Comme tous les athlètes, Despatie a parfois été habité par le doute. Mais ces périodes difficiles, notamment lorsque les blessures ont menacé son moral, n'ont jamais eu raison de son inébranlable confiance en lui. Celle-ci s'appuyait sur un élément, plus fort que tous les autres: l'amour du plongeon.

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Alexandre Despatie occupe une place particulière dans le coeur des Québécois. Des milliers d'entre nous l'ont vu vieillir, un peu comme un membre de la famille. Au point où ses succès ont parfois été tenus pour acquis. Comme s'il était normal que le jeune champion collectionne autant de médailles.

La réalité est pourtant différente. S'imposer au plus haut niveau mondial nécessite du talent, mais surtout des efforts intenses. Son palmarès fait de lui un grand athlète dans l'histoire du Québec.

Si autant de plongeurs nous font honneur sur la scène internationale, c'est beaucoup grâce à lui. Avec Sylvie Bernier, Annie Pelletier et Émilie Heymans, il a donné à ce sport ses lettres de noblesse.

Despatie a aussi été un précurseur sur le plan des commandites. Son association avec McDonald's n'est sûrement pas idéale pour un sportif de haut niveau, qui doit soigner son alimentation. N'empêche que l'élégance avec laquelle il a représenté cette entreprise a ouvert la porte à d'autres athlètes olympiques qui, à leur tour, ont trouvé des parraineurs.

Alexandre Despatie a plusieurs projets pour l'avenir. À la même époque l'an dernier, il me disait à quel point le cinéma l'intéressait, lui qui a déjà joué dans un film. Comme il est à l'aise devant les caméras, on le retrouvera sans doute aussi à la télévision.

Cela dit, souhaitons que le sport continue d'occuper une place importante dans sa vie. Car Despatie a beaucoup à transmettre aux jeunes Québécois qui rêvent d'atteindre l'élite mondiale. Il a géré la réussite, mais aussi les inévitables déceptions.

Ainsi, avant les Jeux de Londres, il a raconté à d'autres athlètes canadiens ses expériences olympiques. Notamment celle d'Athènes, en 2004, où il a remporté une médaille d'argent au tremplin de 3 mètres, un moment fort de sa carrière. Mais il a vécu une vive déception en terminant au quatrième rang à la tour de 10 mètres, son épreuve par excellence.

Puis, en 2008, il s'est brisé un pied quatre mois avant les Jeux de Pékin, ce qui ne l'a pas empêché d'obtenir l'argent au tremplin.

«On a beau faire les meilleurs plans, il y aura toujours des embûches, leur a-t-il dit. Attendez-vous à l'inattendu. La vie vous envoie parfois des balles courbes...»

Vous savez quoi? Alexandre Despatie ferait un excellent chef de mission pour l'équipe canadienne aux prochains Jeux olympiques.

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À Londres, l'été dernier, Despatie n'a pas obtenu les résultats espérés. Sa participation à ces Jeux témoigne néanmoins de sa pugnacité. Une sérieuse blessure à la tête lors d'un plongeon en Espagne avait jeté un doute sur sa présence. Lutter une dernière fois avec les meilleurs au monde lui a sûrement permis d'aborder la retraite sportive avec sérénité.

Quelques mois avant ce rendez-vous londonien, enfin remis d'un malaise à un genou, il m'avait expliqué ne pas être encore prêt à terminer sa carrière.

«La douleur a été longue à partir. J'ai pensé un moment que j'étais peut-être au bout. Et ça m'a fait peur. Je sais ce que je veux faire après ma carrière en plongeon. Mais je ne suis pas prêt à commencer tout de suite...»

Hier, rien de tout cela. Ce vide appréhendé était derrière lui. Malgré son amour du plongeon, c'est un homme en paix avec lui-même qui a annoncé sa décision.

Bonne chance pour la suite, Alexandre!