Ah! L'été... Le temps des camps, du BBQ, des balades en voiture... du camping, même. Chaque semaine, un chroniqueur de La Presse vous parlera d'un de ces "classiques" de l'été.

De 1988 à 1993, j'ai été animateur de camp de jour à la Ville de Laval. J'y ai appris de nombreuses choses, parmi elles quelques leçons de vie. Permettez que j'embarque dans la machine à remonter dans le temps pour cette série d'été.

J'ai appris que le syndicalisme est une bonne affaire. Ça ne faisait pas une semaine que j'étais animateur au camp Marc-Aurèle-Fortin que la CSN avait réussi à nous syndiquer, nous, tous les animateurs de camps de jour de la Ville de Laval. Après deux semaines au boulot, j'avais vécu une assemblée syndicale et un vote de grève.

Avant août, nous avions une première convention collective. Du salaire minimum (autour de 4 $ l'heure), j'avais doublé ma pitance. J'ai découvert le mot « rétroaction », comme dans « on t'envoie un chèque qui multiplie par quatre chaque heure travaillée depuis un mois ». J'étais Donald Trump, j'avais 16 ans.

J'ai appris comment ça fonctionnait, à la Ville de Laval. Si vous n'aviez pas un contact haut placé à la Ville, préférablement un échevin (c'est ainsi qu'on appelait les conseillers municipaux, jadis), vous n'aviez aucun espoir d'être embauché à la Ville de Laval, même pour un poste d'animateur de camp de jour.

Mon père travaillait à la Ville. Il devait connaître du monde, car je suis devenu animateur de camp de jour. Corruption ? Non. Mais s'il fallait une « plogue » pour avoir un job de huit semaines au salaire minimum, imaginez ce que ça prenait pour obtenir un contrat d'asphalte. Gilles Vaillancourt allait devenir maire l'année suivante, en 1989. On dit que tous les systèmes existent depuis que Laval existe, bien avant lui.

En 1989, j'avais 17 ans et j'ai appris qu'on peut être un peu con, à 17 ans. J'étais un animateur apprécié des jeunes, tout en étant pas pire pantoute pour la discipline. Une main de fer dans un gant de marshmallow. Une jeune du groupe des 11-12 (appelons-la Rosalie) était particulièrement turbulente un jour, et je l'ai isolée pour la calmer, dans ce qui était l'ancienne cuisine de l'école Le Petit Prince de Fabreville, à côté du gymnase. Une pièce sombre incitant à la réflexion sur les péchés enfantins. Il devait être 15 h 30.

« Tu restes là et tu te calmes, jusqu'à mon retour, OK ?

- OK », a répondu la petite.

Je prévoyais revenir 10 minutes plus tard, bien avant la fin du camp, à 16 h, quand les enfants partaient.

À 16 h, nous faisions de la paperasse - un gain syndical : demi-heure payée pour ladite paperasse ! - puis à 16 h 30, départ. Vers 16 h 20, un papa a cogné au local des moniteurs : « Allô, je cherche Rosalie... »

Les regards de mes camarades moniteurs se sont tournés vers moi et je me suis liquéfié sur place. Rosalie était encore, près d'une heure plus tard, sagement assise dans la pénombre. Heureusement, la section « Mon topo » de TVA.com n'existait pas encore.

Le père de Rosalie était très fâché. Il aurait eu raison de me servir une correction.

Mais j'ai appris, dans ces six étés dans les camps de jour lavallois, que les parents n'ont pas toujours raison, globalement, quand il est question de leur enfant.

J'ai appris que pour beaucoup de parents, il est absolument impossible que leur petit trésor soit autre chose qu'un petit trésor en tout temps ; pour beaucoup de parents, l'idée que Kevin-Pierre ou Sara-Jade puisse être un monstre quand ils ne sont pas avec papa-maman est tout simplement de la science-fiction.

Un exemple : Kevin-Pierre fesse très délibérément sur la tête de Jonathan avec un bâton de hockey cosom, en prenant un élan de trois pas et en visant le crâne, tout en criant : J'VAS TE TUEEEEER ! Trois moniteurs voient la scène.

On avise évidemment le papa de Kevin-Pierre, à 16 h 01. On lui dit que l'enfant a un problème de gestion de la colère qui pourrait causer des fractures à autrui. Parfait, répond le père après s'être fait raconter l'incident, je vais lui parler.

Le lendemain, quand le père de Kevin-Pierre, appelons-le Kevin-Pierre senior, dépose son petit trésor au camp, un moniteur lui demande s'il a abordé le délicat problème de l'utilisation du bâton de hockey cosom comme une arme offensive. Et le père répond : 

« Oui, mais vous avez fait une erreur, hier.

- Pardon ?

- Kevin-Pierre m'a dit qu'il n'a pas fait ça.

- Mais, mais, je vous assure que...

- MON FILS M'A DIT QU'IL N'A PAS FAIT ÇA. »

Là, vous aurez beau faire témoigner trois moniteurs qui racontent séparément et sous serment la même scène, vous aurez beau faire parader sa victime arborant une bosse bleue sur le crâne, le père n'en démordra pas : KEVIN-PIERRE M'A DIT QU'IL N'A PAS FAIT ÇA. Et bon, si petit trésor a dit à Kevin-Pierre senior qu'il n'a pas fait ça, ce n'est tout simplement jamais arrivé. J'ai appris, dans les camps de jour, le sens profond du mot « aveuglement » et j'ai acquis une aversion totale pour les enfants-rois. L'enfant-roi est le rejeton d'un parent-aveugle.

J'ai appris l'importance d'avoir un job qui vous stimule, où le fun est au rendez-vous. Même si la paie était bonne, j'avais des amis qui faisaient beaucoup plus d'argent que moi à travailler dans des restos ou dans des pépinières : leurs Honda CRX arborant un contour de plaque minéralogique en néon pouvaient en témoigner.

Mais ceux-là n'avaient pas le tiers du plaisir et des fous rires que je pouvais avoir dans une journée avec mes amis moniteurs et mes ti-culs. On dira ce qu'on voudra, être payé pour chanter « Un éléphant qui se balançait, sur une toile-toile-toile d'araignée », après avoir joué au ballon-chinois, à 18-19 ans, ce devrait être illégal tellement c'est amusant.

J'ai aussi appris que le syndicat n'est pas toujours une bonne chose. En 1992, je suis devenu chef moniteur, un job convoité : plus payant - à l'heure - que moniteur, avec en prime l'entrée en fonction un mois plus tôt que tout le monde, pour préparer l'été à venir.

Une de mes monitrices (bonjour Brigitte) ramassait mes erreurs et me rappelait sans cesse de faire ci, de ne pas oublier cela. Bref, elle était meilleure gestionnaire que moi. Moi, la gestion, c'est vraiment pas ma force. Brigitte n'était pas chef monitrice de ce camp qu'elle connaissait comme le fond de sa poche pour une seule raison : j'étais entré à la Ville un été avant elle. J'avais donc plus d'ancienneté qu'elle. L'ancienneté seule est la pire mesure étalon pour sélectionner un candidat à un poste.

En plus, comme chef moniteur, j'étais un peu mieux payé, mais je m'ennuyais dix fois plus que lors des quatre étés précédents. J'ai appris qu'on ne choisit pas un job pour le fric.

Belle leçon de vie, je trouve.

En plus, je peux encore chanter « Un éléphant qui se balançait, sur une toile-toile-toile d'araignée... » pour amuser les enfants, ils trouvent toujours ça très drôle.