Alors que son bras de fer avec le maire Jean Tremblay au sujet de la prière au conseil municipal de Saguenay était à son comble, le militant laïque Alain Simoneau se promenait avec une matraque, au cas où il serait attaqué.

C'était autour de 2009, trois ans après sa plainte initiale à la Commission des droits de la personne contre cette prière qui, selon lui, brimait sa liberté de conscience. Au Royaume de Jean Tremblay, le super populaire maire de Saguenay, M. Simoneau a vite été considéré comme un mouton noir.

M. Simoneau s'est mis à recevoir des appels de menaces anonymes. On va te planter un crucifix dans le derrière, on va violer ta femme, ce genre de propos pas très catholiques. Deux cabochons ont été arrêtés, l'un d'eux a été condamné, mais le mal était fait : Alain Simoneau avait peur.

« Je traînais une matraque en bois dans un sac, pour me défendre. Dans les restaurants, je m'arrangeais pour m'asseoir dos au mur », m'a-t-il raconté hier, en entrevue téléphonique.

En 2010, sept ans après être revenu vivre dans ce Saguenay natal où il avait vécu enfant, l'angoisse a creusé son sillon : il est revenu dans la région de Montréal.

En avril dernier, Alain Simoneau et le Mouvement laïque du Québec (MLQ) ont eu gain de cause en Cour suprême : la prière prononcée par le maire Jean Tremblay avant le conseil municipal était bel et bien une entorse au principe de séparation de l'État et de la religion, principe qui a été consacré par cette décision unanime du plus haut tribunal au pays.

« Si je le referais ? Bonne question. À mon âge, j'ai 65 ans, non. Et si j'avais su que ce serait si long, non plus. Ça a duré neuf ans. Neuf ans ! »

M. Simoneau m'a accordé une rare entrevue parce qu'il recevra aujourd'hui le Prix humaniste 2015 *, conjointement avec le MLQ, qui l'a épaulé dans son combat contre la prière à Saguenay.

« Je ne voulais pas faire un show avec ça, me dit-il pour expliquer sa relative absence médiatique, pendant la saga. La cause n'a jamais été pour me mettre de l'avant. »

Le contraire, quoi, du maire de Saguenay, qui a utilisé cette affaire comme un écran de ciné-parc métaphorique mettant en scène sa foi catholique. Si Jean Tremblay se présente comme un ami de Jésus, Alain Simoneau ne ferait pas une demande d'amitié au Christ, disons...

Deux mois après sa victoire en Cour suprême, Alain Simoneau est lapidaire face au maire de Saguenay : « Jean Tremblay est un hurluberlu qui a raté sa vocation. Il aurait dû aller en prêtrise. »

Alain Simoneau a eu sa révélation sur la religion tout jeune homme, quand son nouveau travail aux Postes lui imposait beaucoup de temps en autobus.

« J'ai lu. J'ai lu la Bible, Diderot, Voltaire, Alain. J'ai réalisé que la religion, c'est de la bouillie pour les chats. »

Il est déçu du projet de loi de Philippe Couillard sur la neutralité religieuse de l'État. Il aurait voulu que le gouvernement aille plus loin. Notamment sur le crucifix, qui est toujours accroché dans le Salon bleu de l'Assemblée nationale. Aucun parti, dit-il, ne veut perdre de votes chez les catholiques, qui semblent croire que décrocher le crucifix serait une attaque contre eux. « C'est faux. Ça enverrait le message que l'État est neutre, pas de privilèges pour aucune religion. »

Quand ses enfants étaient petits, c'était à l'époque où l'école publique aidait encore à fabriquer de petits catholiques via les cours d'enseignement religieux, M. Simoneau était de ces rares parents qui exigeaient qu'ils soient exemptés de ces cours. « Je demandais qu'ils aillent à la bibliothèque : je trouvais qu'on a plus de chances d'apprendre quelque chose là... »

Au bout du fil, la voix est un peu lasse, peut-être la voix d'un homme qui combat un quatrième cancer en une décennie. Pour expliquer sa décision de se plaindre de la prière du maire Tremblay au conseil municipal, Alain Simoneau dit qu'il trouvait simplement que « l'Église avait suffisamment empiété dans nos affaires avant la Révolution tranquille ».

« Vous ne vouliez pas devenir un symbole, donc ?

- Non. Mais là, j'ai une certaine fierté, mon nom va rester dans l'Histoire avec ce jugement très important, qui détermine qu'il doit y avoir séparation de l'État et de la religion. »

* Remis par l'Association humaniste du Québec et la Fondation humaniste du Québec. Djemila Benhabib a reçu le prix le prix en 2014, l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD) en 2013.