Ma mère n'aimait pas beaucoup Jacques Parizeau. Pour Louise Sauriol, M. Parizeau était d'abord et avant tout celui qui avait imposé des réductions de salaire - jusqu'à 20 % - aux employés de l'État en 1981, quand il était ministre des Finances, lors d'une crise économique. Et comme elle était employée d'un hôpital, elle avait dû casquer.

J'en ai entendu parler pendant des années, jusqu'à l'âge adulte. Ma mère n'avait pas de mots assez durs pour maudire M. Parizeau. Il suffisait que « Monsieur » apparaisse à la télévision pour qu'elle se mette à pester.

Elle n'était pas la seule. Péquistes ou pas, des milliers d'employés du secteur public l'ont eu longtemps en travers de la gorge, cet affront qui piétinait les conventions collectives.

C'est une anecdote parmi cent pour dire qu'aux affaires, les politiciens sont rarement adulés et qu'on ne les voit presque jamais comme des hommes, ou comme des femmes, d'État. Gouverner, c'est décevoir.

René Lévesque a beau avoir été canonisé par les Québécois depuis sa mort en 1987, il a quand même été poussé à la porte de son parti sans que les Québécois versent trop de larmes. C'est le passage des années qui a permis de mesurer sa contribution exceptionnelle à la chose publique. Même Churchill, l'inspirant PM qui en vint à incarner la pugnacité britannique devant l'agresseur nazi, fut battu aux élections de 1945.

Jacques Parizeau ne fait pas exception : il n'a pas toujours marché sur l'eau.

Il n'a pas toujours été cet homme d'État qui est salué depuis hier, même par le premier ministre Couillard, un libéral.

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Sa démission au lendemain de la mince défaite de 1995 l'a fait entrer dans la légende militante : pas question de gouverner une province quand on souhaite faire un pays. Les militants adoraient son côté pressé, son côté pur et dur, si vous voulez...

Mais encore là, il y a une part de nostalgie : relisez Bourgault, relisez son Moi, je m'en souviens, pour constater qu'il y avait des souverainistes à la fin des années 80 pour trouver que M. Parizeau ne parlait pas assez de souveraineté, comme chef de l'opposition...

Mais, élu premier ministre en 1994, il a fait ce qu'il avait promis, sans détour ou presque. Il a amorcé la démarche référendaire et il a tenu ce référendum rapidement, le 30 octobre 1995.

Puis, il a eu ces mots rageurs que l'on sait sur les causes de la défaite - « l'argent et des votes ethniques » -, et là, dans ces jours, dans ces mois qui ont suivi, mettons qu'il était loin de la canonisation...

Mais le passage des années a fait son oeuvre. Le temps a donné du relief à son colossal travail d'avant la politique active, quand le Québec pré-Révolution tranquille n'était pas ce qu'il est - pas le tiers monde, mais une sorte de vilain petit canard de l'Occident -, accusant de sérieux retards dans les infrastructures, la scolarisation et l'émancipation économique.

Avec une poignée d'autres Québécois, élus et hauts fonctionnaires, M. Parizeau a facilité cette Révolution pas si tranquille, il a négocié avec les banquiers de Wall Street pour financer la nationalisation de l'hydroélectricité portée par René Lévesque et il a imaginé les contours de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

D'avoir joué dans cette équipe du tonnerre qui avait servi au Québec une passe sur la palette de la modernité, c'était sa plus grande fierté, avait-il confié à son biographe Pierre Duchesne.

On avait toujours su son immense contribution à la Révolution tranquille, puis on a commencé à le comprendre plus intensément, avec le passage du temps. En regardant dans le rétroviseur, on a l'avantage du recul, quand on juge les politiciens. Ça leur donne de la grandeur.

Ou pas.

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Mais ça ne répond pas à la question : qu'est-ce qui distingue le politicien de l'homme d'État ?

Il y a une part de mystère là-dedans, comme dans l'amour, quelque chose d'indéfinissable.

Après le référendum, M. Parizeau a poursuivi son travail de militant, il n'a pas cherché à multiplier les présences dans des conseils d'administration. Il a continué à penser à la souveraineté, à parler de souveraineté, à écrire sur la souveraineté. Il y a une résilience dans ce travail de pèlerin qui forçait l'admiration même chez les fédéralistes.

D'autant qu'il était capable de tancer brutalement sa propre famille politique, son propre parti. Souvenez-vous de sa sortie sur la Charte des valeurs portée par le PQ : il n'était pas un fan, disons.

Et il y avait ses observations érudites sur la société, sur la jeunesse, sur l'économie, sur la dette. Chaque fois, elles constituaient un événement. Les épîtres de Pierre Trudeau avaient le même effet.

Ce qui distingue le politicien de l'homme d'État, donc...

Je pense que ça tient à ceci : le second est écouté longtemps après avoir quitté le pouvoir. Et Jacques Parizeau fut écouté par les Québécois jusqu'à sa mort.