Selon des journaux de Toronto, les deux sympathiques suspects épinglés par la GRC planifiaient de faire dérailler un train VIA Rail sur le Whirlpool Bridge, au-dessus de la rivière Niagara, qui sépare le Canada et les États-Unis. Le symbole aurait été spectaculaire.

Pour les fêlés flirtant avec le djihad, faire dérailler un train canadien, c'est un peu comme attaquer le marathon de Boston. D'une facilité déconcertante. Dans les deux cas, ce sont des cibles «soft», en langage sécuritaire. Difficiles à protéger.

L'immense réseau ferroviaire canadien qui dessert des villages éloignés ressemble en effet aux 42 kilomètres d'un marathon: trop étendu pour être protégé de façon étanche comme dans le cas d'un aéroport.

La première bonne nouvelle dans les éléments publics de cette enquête sur l'attaque avortée, c'est justement qu'elle l'ait été. Quand il est question de terrorisme dans nos démocraties, c'est bien souvent pour déplorer le recul des libertés collectives et individuelles face à l'appareil sécuritaire. Ces craintes sont fondées.

Mais la menace terroriste est également fondée. Des djihadistes rêvent encore de punir des infidèles occidentaux. Le complot visant un train de VIA nous le rappelle, comme avant lui le complot des «18 de Toronto» en 2006.

***

On a connu la GRC moins loquace au moment de commenter une enquête dont les fruits vont se retrouver devant les tribunaux. Mais hier, la police fédérale a dévoilé une information surprenante sur son enquête: les deux suspects épinglés à Montréal et à Toronto ont reçu de l'aide, «de la direction et des communications» d'éléments d'Al-Qaïda basés... en Iran.

Al-Qaïda et l'Iran: ces deux-là ne marchent pas main dans la main. Le schisme entre les sunnites et les chiites dans l'islam perdure depuis près de 1500 ans, et ça se reflète dans les liens unissant le régime des mollahs iraniens à l'organisation fondée par Oussama ben Laden. Le pouvoir iranien (chiite) a beau financer et armer des groupes qui ont utilisé la terreur (Hezbollah libanais, Hamas palestinien), on sait qu'il garde ses distances avec Al-Qaïda.

Mais les services de renseignement américains savent que l'Iran a accueilli au fil des ans des dirigeants d'Al-Qaïda en fuite pour leur donner une sorte d'asile. Les mouvements de ces dirigeants, assignés à résidence par l'État iranien, sont restreints et leurs communications, étroitement surveillées.

Pourquoi l'Iran accepte-t-il de donner asile à des terroristes dont les buts dans la région du Golfe sont si différents des siens et dont l'organisation a massacré des chiites en Irak? Ce n'est pas clair. L'ancien président iranien Khatami avait jonglé avec l'idée de les refiler aux Américains en échange d'éléments anti-iraniens capturés par les États-Unis en Irak. En janvier 2012, le magazine Foreign Affairs, analysant la relation Al-Qaïda-Iran, notait quelques intérêts communs: «Garder des leaders du groupe sur son territoire est d'abord un acte d'autodéfense. Tant que Téhéran retient ces leaders, Al-Qaïda n'attaquera probablement pas l'Iran. Et si les États-Unis ou Israël attaquaient l'Iran, Téhéran pourrait utiliser Al-Qaïda dans sa riposte.»

La GRC, en disant que les éléments d'Al-Qaïda avaient guidé les deux suspects de Toronto et de Montréal, a bien pris soin de préciser qu'il ne s'agissait pas de terrorisme d'État.

***

L'autre bonne nouvelle dans cette affaire, c'est que l'information de base ayant déclenché l'enquête proviendrait de la communauté musulmane de Toronto. Selon le National Post, c'est un imam local qui se serait ouvert de ses craintes à la police, lançant cette enquête en août 2012.

C'est une bonne nouvelle parce que dans le contexte très réel et très concret des menaces djihadistes, les communautés musulmanes en Occident souffrent de l'amalgame entre terrorisme et religion.

De savoir que la dénonciation - donc le refus de se taire devant l'intolérable - provient peut-être de musulmans, voilà un bon antidote aux amalgames.

Reste le problème, très concret et très réel encore, de ces jeunes fanatiques prêts à tuer des civils en murmurant ou en criant Allah akbar. Comment les dépister? La réponse, comme le démontrera peut-être la suite de l'affaire du complot de VIA Rail, est un peu de chance... et beaucoup de policiers qui bûchent dans l'ombre.