Depuis deux jours, je raconte dans La Presse ce climat de travail toxique qui a brisé un homme, Stéphane Archambault, 48 ans, préventionniste. Il s'est suicidé le 19 octobre, au lendemain d'un congé de maladie obtenu pour le sortir du climat de travail toxique à la division Prévention du Service d'incendies de Montréal (SIM).

Le hic, c'est que tout allait bien, à la Prévention, dans les relations de travail, avant l'arrivée de Pierre Sigouin, nommé patron en 2010.

«Le milieu des pompiers est assez particulier», convient Jean-Yves Hinse, directeur du Capital humain de la Ville de Montréal. «Particulier»: euphémisme pour parler d'un climat d'affrontement depuis des décennies entre pompiers et patrons.

«C'est ce milieu qui a été exporté dans celui de la Prévention» avec la nomination de Pierre Sigouin, dit Hinse.

La mort d'Archambault a forcé la Ville à lancer une vaste enquête pour passer aux rayons X la gestion de Sigouin. Au terme de cette enquête menée par une avocate indépendante de la Ville de Montréal, Sigouin a été suspendu deux mois et demi le 19 janvier dernier.

Cette enquête reste secrète. La Ville refuse d'en donner copie à la famille Archambault, plaidant la protection de renseignements confidentiels. Tout au plus a-t-elle accepté de faire un résumé verbal des conclusions. Je note qu'il est très commode pour bien des gens qu'il reste secret. La famille soupçonne la même chose.

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Sylvie Chevrier a les yeux pleins d'eau.

«Je n'accuse pas la Ville et le SIM du suicide de Stéphane. Je les accuse de ne pas avoir agi quand des employés ont dit leur détresse.»

Sylvie Chevrier ne croit pas que le directeur du SIM, Serge Tremblay, soit si ébranlé par le suicide de son mari. «Il a surtout peur pour ses fesses.»

Je ne suis pas dans la tête de Serge Tremblay, alors je ne sais pas. Je sais juste que la gestion des suites du suicide de Stéphane Archambault ne semble pas toujours s'être faite dans la sensibilité nécessaire à cette situation.

Deux jours après le drame, le directeur Tremblay et son adjoint, Jacques Proteau - deux amis personnels de Sigouin - sont allés visiter les Archambault. Serge Tremblay a alors dit à la famille endeuillée que les pompiers ont, entre eux, des moeurs très rudes. Le directeur s'en défend, mais la famille a vu cela comme une banalisation du climat toxique qui prévalait à la Prévention. Et de l'ignorance: les préventionnistes comme Archambault ne sont pas des pompiers.

Et les Archambault n'ont toujours pas digéré les mots utilisés devant eux par Tremblay en parlant de ces moeurs. «C'est du tirage de graine», a-t-il dit. Tremblay, devant moi, s'en est excusé. Jean-Yves Hinse - qui manipule bien l'euphémisme - a parlé d'un «manque d'empathie» du directeur Tremblay.

J'y vois surtout l'expression d'une banalisation du phénomène du harcèlement psychologique au travail. Un homme sensible n'aurait pas utilisé une image renvoyant au pénis. Pas dans ces circonstances.

La banalisation s'exprime aussi dans le traitement réservé à Sigouin après sa suspension. Il avait encore accès à sa messagerie électronique de la Ville, la semaine passée. Il est encore consulté par le SIM sur des dossiers qu'il pilotait avant sa suspension. Quand, récemment, les employés de la Prévention ont troqué leurs BlackBerry pour des iPhone, Sigouin en a reçu un. Drôle de suspension. Une suspension au ralenti...

Pour toutes ces raisons, j'ai de la misère à croire MM. Hinse et Tremblay quand ils nient que Pierre Sigouin appelle souvent au 200, rue Bellechasse pour faire des suivis de dossier. Une info relayée par quelques sources qui y travaillent. «Au terme de sa suspension, Pierre Sigouin ne reviendra pas à la Ville de Montréal. Il devra faire un choix», dit Jean-Yves Hinse. Un choix? «Il pourrait démissionner, demander un congé sans solde, prendre sa retraite.» Au SIM, la plupart de mes sources croient qu'il prendra sa retraite.

Parlant de choix, je pense beaucoup à Jacques Proteau, ex-numéro 2 du SIM, dans cette affaire. Il a fait le choix de ne pas me parler pour cette série. Il a fait le choix de prendre sa retraite, en janvier. C'est moins d'un an après avoir fait le choix de protéger son ami et subalterne Sigouin, quand il apprit que celui-ci avait menacé de «péter la yeule» d'Archambault lors d'une rencontre.

Sigouin, pour ces menaces, n'a jamais reçu de sanction disciplinaire.

En février, M. Proteau a été nommé directeur général de l'École nationale des pompiers du Québec. Qui est président du conseil d'administration de l'ENPQ? Serge Tremblay, son ami. M. Tremblay me jure que son amitié n'a joué aucun rôle dans cette sélection.

La banalisation du harcèlement psychologique, c'est aussi ça: ne pas s'opposer à la nomination de ceux qui le tolèrent à la tête d'une école chargée de former les nouveaux pompiers. Je me demande ce que Stéphane Bergeron, ministre de la Sécurité publique, pense de cette nomination entérinée par le Conseil des ministres.

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Merci à ceux qui ont témoigné de façon confidentielle dans cette série. Merci d'avoir jeté un peu de lumière dans le puits sombre qu'est la vie des Archambault depuis le 19 octobre.

À ceux qui auraient pu agir et qui n'ont rien fait, je termine sur les mots de la fille de Stéphane Archambault au père Noël, en décembre. Elle a 8 ans: «S'il te plaît, s'il te plaît, je t'en prie, peux-tu faire revenir mon papa? Je serai sage pour toute la vie et je ne veux plus de jouets.»

Ton papa était un homme bon, petite. Tout le monde le dit. Et il t'aimait comme un fou. N'en doute jamais.

Le reste, tout le reste, c'est de l'hommerie.