Les universités sont-elles sous-financées? Bonne question. Oui, oui, bonne question. Une question tout à fait légitime, que le nouveau ministre de l'Éducation supérieure, Pierre Duchesne, a osé poser au lendemain de sa nomination.

En septembre, le Parti québécois a hérité du dossier des universités. Un dossier pourri, explosif, que les libéraux avaient géré comme des pieds, créant une des pires crises sociales au Québec. Normal pour un nouveau ministre de se poser des questions, dont celle qui a été au coeur du conflit: le sous-financement des universités.

Un chiffre, toujours le même, circule depuis 2010: l'écart entre les universités canadiennes et québécoises est de 620 millions. Personne, ou presque, n'a contesté ce chiffre qui vient de la Conférence des recteurs et des principaux des universités (CREPUQ). Conclusion: nos universités sont pauvres, pour ne pas dire indigentes. Honte à nous.

Pourtant, pourtant.

En 2008-2009, les revenus des universités québécoises atteignaient 5,3 milliards. Ces revenus se divisaient en trois fonds: immobilisations (0,4 milliard), recherche (1,3 milliard) et fonctionnement (3,6 milliards). Globalement, tous fonds confondus, les universités québécoises recevaient à peu près autant d'argent que leurs consoeurs canadiennes. Oui, autant. Ou presque.

Des chiffres? En 2008-2009, les revenus des universités québécoises totalisaient 27 628$ par étudiant, comparativement à 28 282$ dans le reste du Canada, une différence d'à peine 2%. L'Ontario, la riche Ontario, ne recevait que 25 587$.

En apparence, il n'y a donc pas de sous-financement. Les revenus par étudiant se comparent d'une province à l'autre, et le Québec est loin du génocide des universités, comme les recteurs le prétendent.

Par contre, si on sépare les trois fonds - immobilisations, recherche et fonctionnement -, le déséquilibre nous saute au visage. Le Québec se débrouille bien, très bien même, dans la recherche. Il dépasse les autres provinces. Les chercheurs québécois sont très performants. Le fonds des immobilisations (projets de construction ou de rénovations majeures) est également bien garni, mieux que dans le reste du Canada. Pas étonnant, quand on connaît la frénésie des universités pour l'immobilier.

Le problème, c'est le fonds de fonctionnement. C'est là que le bât blesse, là que se manifeste le sous-financement. Et ce fonds est drôlement important. On l'utilise pour payer les salaires, garnir les bibliothèques, équiper les laboratoires, chauffer les bâtiments.

Si on reprend les mêmes indicateurs, les revenus par étudiant en 2008-2009, les universités québécoises traînent la patte. Le Québec recevait 17 454$; le reste du Canada, 19 688$. Un gouffre de 2234$ par étudiant.

Les universités ne peuvent pas puiser dans un fonds pour en garnir un autre. Pas question, par exemple, d'utiliser le fonds des immobilisations pour embaucher des professeurs ou garnir les bibliothèques. Le sous-financement du fonds de fonctionnement a donc un impact négatif important sur la santé des universités.

La CREPUQ a calculé le sous-financement de 620 millions en se basant uniquement sur le fonds de fonctionnement. Dans tout le débat qui a déchiré le Québec au printemps, elle s'est bien gardée de dire que les universités québécoises se débrouillent assez bien, merci, quand on les compare au reste du Canada, tous fonds confondus. Elle n'en avait que pour ses 620 millions, qu'elle martelait encore et encore. Au diable les nuances!

Dans le budget Marceau, déposé le 20 novembre, les universités ont reçu une gifle. Le ministre leur a imposé des compressions de 124 millions. Aux deux tiers d'un exercice financier. Il ne leur reste que quatre mois pour sabrer leurs dépenses. Une opération irréaliste, casse-cou. Où vont-elles dénicher tous ces millions? Les trois quarts de leur budget de fonctionnement servent à payer des salaires décrétés par des conventions collectives, donc coulés dans le béton. Vont-elles couper le chauffage?

Elles vont probablement finir l'année dans le rouge. Encore. Le déficit accumulé des universités atteignait 483 millions en 2009.

Mardi, j'ai parlé au ministre Pierre Duchesne, qui m'a expliqué que son gouvernement n'avait pas le choix, car il avait hérité de la gestion financière catastrophique des libéraux. Fort bien. Mais pourquoi ne pas demander aux étudiants d'assumer une partie du fardeau des 124 millions en haussant, même légèrement, les droits de scolarité?

Le gouvernement veut garder une apparence de neutralité à la veille du sommet de février, qui va se pencher sur le sort des universités. Que reste-t-il de cette apparence, quand Québec balaie une facture de 124 millions dans la cour des universités, mais ne demande rien aux étudiants?

Le gouvernement a-t-il peur de la colère des étudiants? Visiblement, il n'a pas peur de celle des universités.

Pour joindre notre chroniqueuse: mouimet@lapresse.ca