Chaque fois que je vais sur ce compte Tumblr, je ris. Je ne devrais pas, parce que ce n'est pas drôle. Mais l'auteur du compte «Congrats you have an all male panel» - félicitations vous avez une table ronde totalement masculine - réussit toujours à me faire rigoler, avec toutes ces photos de dizaines et dizaines de tables rondes, congrès, réunions, colloques et compagnie où on a réussi à n'inviter que des hommes.

L'humour et le ridicule sont parfois plus efficaces que bien des tirades.

Surtout quand on met une petite photo en caméo de David Hasselhoff, le héros de l'émission Alerte à Malibu, faisant avec son pouce levé un geste d'approbation. Avez-vous dit risible?

C'est Saara Särmä, chercheuse en relations internationales, féministe, de l'Université de Tampere en Finlande, qui a eu la brillante idée de lancer ce site tumblr en février dernier, alimenté par les photos qu'elle trouvait ici et là.

Elle en avait juste marre de voir tant de rencontres académiques remplies uniquement d'hommes.

Mais rapidement, le site est devenu viral.

Colloques universitaires, rencontres technos, symposiums... Aujourd'hui, les photos lui arrivent par centaines, chaque jour, de partout au monde, a-t-elle expliqué récemment à l'émission As It Happens de la CBC. La photo du maître-nageur californien apportant malgré lui son assentiment est son idée aussi. «Je trouve que c'est vraiment drôle. Ça me fait rire personnellement, mais ça semble marcher avec les autres aussi. Je trouve qu'il incarne vraiment bien la masculinité blanche.»

Difficile à croire qu'en 2015 de telles rencontres sans diversité ont encore lieu, mais elles semblent monnaie courante.

L'an dernier, par exemple, selon une compilation faite par une journaliste du Washington Post, six importants organismes de recherche de Washington ont organisé 232 événements pour discuter de la situation au Moyen-Orient. Quelque 150 conférences, colloques et compagnie ne comptaient pas une seule femme. Zéro. Aucune.

Et ce qui est troublant lorsqu'on regarde le site de tumblr, c'est qu'on y retrouve aussi des photos d'événements modernes, actuels, remplis de jeunes, des discussions technos notamment, pas que des clubs de vétérans intellos d'une autre époque.

LE MONDE A-T-IL SI PEU CHANGÉ?

«Ce qui a changé, c'est qu'au moins maintenant c'est perçu comme anormal», explique Annie Cornet, professeure de gestion de l'Université de Liège, qui s'est penchée notamment sur la question des conseils d'administration uniquement masculins.

Les femmes ont d'ailleurs des hommes comme alliés, qui trouvent ces situations aussi absurdes qu'elles. L'économiste Owen Barder de la London School of Economics, spécialiste du développement, a carrément lancé un appel aux autres universitaires masculins pour qu'ils refusent de participer à des tables rondes et autres groupes de discussion s'il n'y a pas assez de femmes.

Barber a lui-même prêté serment de ne pas participer à une activité avec plus de deux personnes, excluant la personne qui préside ou anime la discussion, s'il n'y a pas au moins une femme invitée.

Sur son site web, il répond à quelques questions courantes.

«On fait quoi si on a cherché et on n'a pas trouvé de femme?»

- Essayez plus fort, répond-il.

«Et si une femme a annulé sa présence?»

- Choisissez-en plus qu'une au départ et vous n'aurez pas ce problème...

Pourquoi est-ce encore si difficile de recruter des femmes, même pour de simples conférences?

«Les recherches sont très nombreuses sur les conseils d'administration, répond Mme Cornet. Pourquoi sont-ils si souvent si masculins, on se le demande depuis longtemps. Le problème, c'est que malgré la recherche, ça ne change pas beaucoup.»

Pour les conseils comme pour les événements, les embûches que rencontrent les femmes semblent être les mêmes.

Les réseaux masculins, déjà établis, formés de pairs qui se connaissent et se comprennent, s'encouragent entre eux, se perpétuent.

Pour tout recrutement, on va chercher des gens familiers ou des gens recommandés par des personnes connues. Difficile de sortir de toute zone de confort. Les réseaux se reproduisent, s'étirent, s'étalent.

«Les hommes sont alors la norme et les femmes deviennent hors-norme», dit Mme Cornet.

Si elles sont invitées à participer - que ce soit à une table ronde, un groupe de discussion ou un conseil -, les femmes font souvent figure «d'outsiders», ce sont les personnes extraordinaires qu'on invite parce qu'elles ont quelque chose de différent et souvent valorisé, à apporter. Mais elles demeurent néanmoins hors de la zone de départ du groupe.

Si on les intègre, ce qui est fort valorisant pour elles, il se crée aussi un lien de loyauté avec ces hommes qui les accueillent et ce lien peut finir par nuire à leur autonomie de pensée, un problème qui touche moins les hommes, note la chercheuse.

Bref, le chemin est long.

Une chance qu'on peut rigoler un peu sur la route.

http://allmalepanels.tumblr.com/